Par Me Marianne Saroli, avocate.
Les lockouts dans les sports professionnels sont choses courantes. Toutefois, la LNH se distingue particulièrement des autres en ce que le hockey est l’un des seuls sports professionnels dans lequel un joueur peut quitter vers l’Europe avec une certaine aisance et simplicité[i]. Lors du lockout 2004-2005, 388 joueurs de la LNH avaient signé des contrats avec des ligues de hockey européennes[ii]. Cette évasion soudaine vers l’Europe avait suscité d’innombrables questions d’ordre juridique et économique. Voilà que pour la saison 2012-2013, une pareille situation s’est reproduite. Cette fois-ci, près de 200 joueurs de la LNH se sont exilés vers l’Europe principalement vers la Russie, la République tchèque, la Suisse et la Suède[iii].
Or, cet exode crée des opinions extrêmement partagées. Bien entendu, la réaction des fans européens fut positive dans la mesure où ils avaient droit à une saison avec un niveau de compétition plus élevé. D’une part, bonheur pour les clubs européens, car ils vendent plus de billets, donc bénéficient d’une plus grande visibilité et réalisent de plus gros profits et ce, plus particulièrement lorsqu’une équipe a la chance d’y accueillir plus d’une étoile de la LNH. D’autre part, désarroi pour les joueurs d’hockey européens, lesquels appréhendent la venue de ces étoiles avec inquiétude en ce qu’ils craignent pour leurs emplois. Certains croient cependant que cet exode fut bénéfique lors des négociations de la nouvelle convention collective. Effectivement, la rumeur est qu’un autre conflit serait né au sein même de l’AJLNH lorsque quelques joueurs ont décidé de quitter vers l’Europe, ces derniers ayant été perçus par certains compatriotes comme des briseurs de grève[iv].
Mais qui gagne de cette exportation soudaine vers l’Europe? À l’inverse, qui perd? Forcément, il importe de comprendre d’abord et avant tout pourquoi une telle exportation fut légalement possible à l’intérieur d’une aussi courte période de temps.
Conformément à la clause 23.4 de l’ancienne convention collective de 2005, un joueur qui se voit dans l’impossibilité d’honorer ses services pour son équipe en raison d’une blessure survenue dans le cadre des ses fonctions de travail dans la LNH peut recevoir son salaire eu égard au montant prévu et à la durée de son contrat[v]. Ainsi, si un joueur se blesse alors qu’il joue en Europe pendant le lockout, il ne sera pas admissible à recevoir son salaire de la LNH. Toutefois, la plupart des ligues européennes offrent leur propre assurance invalidité. Ceci étant, cette couverture dépend du salaire offert par la ligue européenne et non par la LNH, et dans certains cas, cette différence de salaire peut être substantielle. Dans cette optique, les problèmes liés aux assurances invalidité peuvent en soi décourager les joueurs de la LNH de quitter vers l’Europe. Ce qui a été le cas de Sidney Crosby, qui rappelons-nous ressort d’une commotion cérébrale, lequel a préféré ne pas prendre le risque de jouer en Europe et ce, par crainte de se blesser et de perdre son droit à l’assurance invalidité prévu par la LNH[vi].
Une fois le lockout terminé, il est normalement entendu que les joueurs retournent jouer en Amérique du Nord pour la période restante à leur contrat de la LNH. Cependant, il peut en être problématique si le joueur a signé un contrat d’une durée d’un an sans clause de sortie et ce, en croyant, bien malgré lui, que le lockout aurait duré la saison entière[vii]. Une telle situation, bien qu’extrêmement peu probable, peut tout de même se produire. Par contre, plusieurs joueurs démontraient une réticence certaine à quitter vers l’Europe cette année, puisque les espoirs de trouver un terrain d’entente entre la LNH et l’AJLNH étaient plus élevés qu’en 2004-2005.
Toutefois, la conclusion de contrats de courte durée n’est pas toujours la meilleure des solutions. Tel que mentionné précédemment, ces contrats sont de réelles menaces pour les joueurs européens, certains d’entre eux perdent du temps de glace, voire même perdent leur emploi au sein de leur équipe. D’ailleurs, Dustin Brown des Kings de Los Angeles a fait preuve d’un très grand respect envers les lignes européennes en précisant qu’il ne voudrait pas jouer en Europe pour ne pas prendre la place d’un joueur européen[viii]. Il n’est pas non plus avantageux pour les clubs d’avoir des contrats qui ne durent pas une saison complète et dont la durée est incertaine. La Suède avait indiqué en août dernier qu’elle n’allait permettre aucun contrat de courte durée avec des joueurs de la LNH, mais cette décision fut renversée vers la fin du mois de septembre et a permis à un nombre limité de joueurs de la LNH de jouer pour la Suède[ix].
Un autre problème majeur de cet exode vers l’Europe était l’imposition des joueurs de la LNH. Par exemple, la Suède, comme plusieurs autres pays européens, ont implanté des impôts sur la fortune[x]. Cette forme d’impôt était en soi un élément dissuasif pour un joueur de la LNH en ce que plusieurs d’entre eux étaient victimes d’une double imposition.
Bien que l’exode vers l’Europe ait son lot de désavantages, il n’en est pas pour autant négatif. Si autant de joueurs ont décidé de quitter l’Amérique du Nord durant le lockout, c’est qu’il doit forcément y avoir des avantages. Nécessairement, l’Europe présente un marché intéressant pour un joueur de la LNH, mais surtout un marché qui est facilement substituable à leurs attentes et à leurs demandes[xi]. Or, les salaires demeurent superficiellement plus élevés dans la LNH simplement parce que le marché européen n’est pas aussi dominant que le marché nord américain. Dans cette mesure, les salaires prévus par les ligues d’hockey européennes ne sont pas substituables à ceux de la LNH.
Certains joueurs ont même joué gratuitement pour des ligues européennes tel que Tomas Plekanec, qui a signé un contrat avec la République Tchèque d’une valeur de 5 sous[xii]. D’autres ont cependant pu empocher des sommes considérables durant leur périple en Europe, principalement ceux qui avaient contracté avec la KLH, lesquels ont pu encaisser près de 100 000$ par mois. Notons que la KLH avait arboré un nouveau règlement en prévision du lockout 2012-2013 à l’effet que la valeur des contrats signés dans la KLH ne pouvaient pas excéder plus de 65% de la valeur de leurs contrats de la LNH et ce, en termes de salaires (devise américaine)[xiii]. Ce fut d’ailleurs le cas pour Alexander Oveckhin qui a signé à la fin du mois de septembre 2012 un contrat avec les Dynamo de Moscow pour un montant total de $6.5 million, montant auquel il aurait droit s’il honorait ses services jusqu’à la fin de la saison. Il a été convenu que le contrat d’Ovechkin aurait une durée variant entre 2 à 12 mois et qu’il pourrait quitter dès que la fin du lockout serait annoncée[xiv]. Sachant que Ovechkin fait annuellement $9.5 millions avec les Capitals de Washington, il a donc bénéficié du maximum que la KLH pouvait lui offrir[xv].
Cela n’a tout de même pas empêché quelques 200 joueurs de la LNH de s’exiler en Europe. Si le salaire n’est pas en soi un facteur déterminant, la motivation de quitter vers l’Europe doit alors s’expliquer par des facteurs purement personnels ou strictement stratégiques. L’explication la plus rationnelle est ce besoin de jouer à un niveau concurrentiel afin d’assurer et d’optimiser la valeur d’un joueur aussitôt que le lockout prend fin[xvi]. La préservation de la valeur d’un joueur sur le marché, surtout lorsqu’il s’agit d’un marché hyper concurrentiel est essentielle à l’obtention d’un avantage compétitif. D’autant plus que l’expérience européenne leur permet de se garder en forme. Pour ainsi dire, il peut être rentable pour un joueur de la LNH de tolérer un salaire plus bas pour maintenir sa valeur sur le marché de la LNH et ne pas céder sa place à d’autres talents. La concurrence réelle et potentielle semble être en soi une motivation pour certains joueurs à migrer vers l’Europe. Un joueur dominant voudra assurer sa place dans un marché dominant.
Les joueurs qui ont quitté vers l’Europe à l’automne dernier seront certes avantagés en ce qu’ils auront eu 3 mois de pratique préalablement à la saison qui s’amorcera le 19 janvier prochain. Bien que certains joueurs aient demeuré 3 mois en Europe, d’autres n’y ont séjourné que quelques temps[xvii]. Certains, même, ont préféré attendre que la saison soit officiellement annulée avant de s’exiler, comme les frères suédois Daniel et Henrik Sedin des Canucks de Vancouver, lesquels ont indiqué qu’ils ne quitteraient pas pour la Suède tant et aussi longtemps que la saison ne serait pas annulée[xviii].
Économiquement parlant, les ligues européennes ont su profiter des effets du lockout bien que ces effets ne soient qu’éphémères. En effet, ils ont pu bénéficier d’un meilleur produit sur la glace pour un même budget, résultant ainsi d’une meilleure qualité de jeu, d’une augmentation de l’intérêt public et d’une valeur accrue de leurs droits télévisuels en Europe. L’opportunité pour un joueur de la LNH de pouvoir jouer malgré le lockout est en soi un avantage puisque cela leur permet de limiter les sanctions du lockout, soit d’être privé de salaire durant cette période. Que cette expérience se révèle positive ou négative, il n’en demeure pas moins que chaque partie peut y trouver son compte. Il est encore trop tôt pour déterminer qui sortira gagnant de ce conflit dans la LNH. Cependant, tant la LNH que l’AJLNH doivent assumer une part de responsabilité dans ce lockout. Force est de constater que ce conflit a duré trop longtemps tout en minant la crédibilité de la LNH et le soutien de ses partisans et que non seulement, il a engendré des pertes économiques importantes, mais au surplus, il a affecté l’emploi de plusieurs salariés. Dans une telle optique, ni la LNH, ni l’AJLNH n’en sortiront gagnants.
[i] Anders Etgen Reitz, The NHL lockout: The Trickle-Down Effect on European Hockey, 13 Sports Law Journal, 2006, 179
[ii] Id., 180
[iii] Bill Beacon, NHL players make their way back from Europe after end of lockout, Canadian Press, National Post, 6 janvier 2012, en ligne:
http://sports.nationalpost.com/2013/01/06/nhl-players-make-their-way-back-from-europe-after-end-of-lockout/#loop
[iv] Stephen Harris, Opening Wounds; Use of ‘Scabs’ Crop Up Everywhere, Boston Herald, 14 novembre 2004, B229
[v] National Hockey League Collective Bargaining Agreement Article 23: Insurance Coverages, NHLPA website, en ligne: http://www.nhlfa.com/CBA/cba_agreement23.asp
[vi] Bill Beacon, European exodus in full swing, The Canadian Press, 7 janvier 2013, en ligne:
http://thechronicleherald.ca/sports/389280-european-exodus-in-full-swing
[vii] A. Etgen Reitz, loc. cit, note i), 184
[viii] B. Beacon, loc. cit, note vi)
[ix] Travis Hughes, NHL Lockout 2012: Displaced Players Can Now Join Swedish Elite League Teams, SBNATION, 21 septembre 2012, en ligne: http://www.sbnation.com/2012/9/21/3367884/nhl-lockout-2012-swedish-elite-league-contracts-nhlpa
[x] A. Etgen Reitz, loc. cit, note i), 185
[xi] A. Etgen Reitz, loc. cit, note i), 188
[xii] B. Beacon, loc. cit, note vi)
[xiii] Elena Frolova , Ovechkin owes Dynamo contract to his mother, Russia beyond the headlines, 26 septembre 2012, en ligne:
http://rbth.ru/articles/2012/09/26/ovechkin_returns_to_dynamo_18579.html
[xiv] Id.
[xv] Id.
[xvi]A. Etgen Reitz, loc. cit, note i), 188
[xvii] B. Beacon, loc. cit, note vi)
[xviii] B. Beacon, loc. cit, note vi)
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