Entrevue avec Me Rana Haddad, avocate de la firme Haddad Bossou

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(Entrevue datant de 2006-05-01)

Se questionner sur son choix de carrière à ses débuts peut parfois servir de tremplin pour un grand avenir. C’est le cas d’une avocate de Montréal qui a décidé de se lancer à son compte après un cheminement qui l’a conduit à l’étranger pour la ramener au Québec. C’est avec beaucoup de joie qu’elle a accepté de nous accorder une entrevue. Chemin d’une avocate, Me Rana Haddad, qui a acquise une grande solidité et une énorme passion en matière de droit familial.

Jurizone : Me Haddad, parlez-nous un peu de votre cheminement de carrière.

Me Haddad : J’ai commencé ma carrière juridique par un stage de la formation professionnelle dans l’étude Claude F Archambault et associés. Au cours de mon stage de six mois, j’ai travaillé sur des dossiers variés en droit civil, allant du droit familial, au droit commercial et même un peu de droit criminel. Mon stage fut une expérience très enrichissante durant laquelle j’ai acquis des connaissances solides et une expérience variée des tribunaux autant les tribunaux administratifs, que la Cour du Québec, la Cour Supérieure et même la Cour d’Appel. J’ai continué cette pratique variée pendant une année supplémentaire après mon stage, mais le poids de la pratique privée à grand volume était trop lourd à porter avec le peu d’années d’expérience, ce qui m’a poussé à remettre en doute mon choix de carrière, syndrome extrêmement répandu chez les avocats débutants. J’ai alors décidé de virer de cap et j’ai voyagé au Liban pour occuper un poste de conseillère juridique au sein d’une compagnie d’assurance d’envergure internationale. La distance m’a permise une bonne introspection et j’ai réalisé au bout de deux ans que mon choix de carrière était le bon, que le droit est fascinant avec ses facettes multiples et que ma préférence est le litige. Je retourne donc à Montréal et je démarre mon propre bureau en association axé sur le litige civil et familial, et je continue là-dedans depuis quatre ans.

Jurizone : Pourquoi avez-vous choisi le droit de la famille ?

Me Haddad : En fait, le choix du droit familial s’est imposé en quelques sortes par la réalité de la demande dans ce domaine. En tant que jeune avocate à mon compte, je ne pouvais pas au début me permettre de refuser des mandats et les clients affluaient dans le cadre du droit familial. Par la suite, c’est devenu en quelque sorte une habitude et j’ai choisi de concentrer ma pratique sur ce domaine.

Jurizone : Quel rôle joue exactement l’avocat ou l’avocate en matière familiale ?

Me Haddad : Le rôle de l’avocat en droit familial est très particulier, il requiert non seulement de mettre en œuvre nos compétences juridiques, mais aussi d’user d’un peu de psychologie, de médiation et, surtout et avant tout, de garder notre côté humain et de ne pas oublier que nos clients sont en train de vivre les moments les plus éprouvants de leur vie et qu’ils sont fragiles financièrement, émotionnellement et physiquement. Cependant il faut s’assurer de ne pas prendre les dossiers de façon personnelle et de garder le litige entre les clients et non entre les avocats. L’adage qui dit : « le pire des règlements vaut le meilleur des jugements » est particulièrement vrai en matière familiale et il faut favoriser les règlements afin de préserver nos clients.

Jurizone : En parlant de litiges entre clients, selon vos observations, quels seraient les points litigieux les plus fréquents qui mènent au divorce dans la population au Québec ?

Me Haddad : Bien que le facteur le plus communément allégué au soutien des procédures soit la séparation depuis plus d’un an, la réalité est que l’adultère joue un rôle non négligeable dans bon nombre de séparations menant au divorce. Cependant, nous voyons souvent des couples qui se séparent lorsque les réalités de la vie trépidante d’aujourd’hui place une distance entre les époux à cause des heures supplémentaires, du manque de temps, du trop d’obligations, le tout menant à très peu de temps de qualité que les époux trouvent à passer ensemble.

Jurizone : Quels conseils donnerez-vous aux gens afin d’éviter de longues procédures ?

Me Haddad : PARLEZ-VOUS. Mettez votre rancune et votre orgueil de côté et parlez-vous. Il est important de consulter un avocat pour connaître ses droits et obligations et ne pas se faire d’idées préconçues quant à la séparation. Mais une fois que vous êtes informés sur vos droits, souvenez-vous qu’une procédure conjointe est moins coûteuse et moins éprouvante qu’un procès et que vous en sortirez toujours gagnants.

Jurizone : Parlez-nous un peu du patrimoine familial. Qu’est-ce qui y est inclus et qu’est-ce qui ne l’est pas ?

Me Haddad : Le patrimoine familial se constitue par les biens accumulés par les époux durant leur mariage et comprend, la résidence familiale, la résidence secondaire à l’usage de la famille, les meubles meublants desdites résidences qui sont à l’usage de la famille, les véhicules automobiles à l’usage de la famille, les fonds de pensions, RRQ et REER accumulés au nom des époux pendant le mariage.

Sont exclus du patrimoine familial les biens échus par donation ou succession, les biens à l’usage exclusif de l’un ou l’autre des époux (e.g. : collections, ordinateurs, outils, etc.), les commerces, l’argent liquide et les comptes bancaires courants personnels, les actions et placements et obligations d’épargnes autres que les REER.

Le partage du patrimoine se fait en valeur. Il faut donc à prime abord calculer la valeur du patrimoine au moment de la séparation en déterminant la valeur marchande des biens qui en font partie à ladite date. Par la suite il faut soustraire les dettes grevant lesdits biens et celles contactées pour leur acquisition, amélioration, entretien et conservation. Nous obtenons ainsi la valeur nette du patrimoine qui devrait être partagée à parts égales entre les époux.

Jurizone : Que pensez-vous de l’évolution du Code civil en matière familiale ?

Me Haddad : Le Code civil en matière familiale est en constante évolution et devait l’être car il se doit de refléter les réalités sociales. Le droit familial a fait des pas de géant dans les dix dernières années notamment en ce qui concerne la garde des enfants et les droits d’accès, la  filiation, l’adoption et les droits des grands-parents et des tiers envers les enfants.

Je crois cependant que le rôle des avocats est primordial pour forcer cette évolution et qu’en matière familiale, il ne faut pas hésiter à être innovateur dans nos procédures, dans nos demandes et dans les sources doctrinales pour appuyer notre argumentation. Dans mon expérience, lorsque j’ai tenté ce que l’on me disait non faisable, ce qui n’était pas prévu par la loi, j’ai réussi 4 fois sur cinq à l’obtenir. Il faut avoir la conviction de ce qu’on demande.

Cependant malgré cette grande évolution législative et sont application par les tribunaux, la plus grande déficience en droit familial demeure au niveau de l’exécution des jugements et de la grande appréhension des tribunaux à condamner la personne qui se trouve en outrage à une peine d’emprisonnement.

Le plus grand défi à relever pour les prochaines années est d’établir un mécanisme d’exécution des décisions de la chambre de la famille qui puisse être efficace et réaliste.

Jurizone : En parlant de défi, on voit souvent des actions de l’organisme « Fathers for justice », que pensez-vous de leurs revendications ?

Me Haddad : Il est vrai que les droits des pères ont longtemps été bafoués par les tribunaux, cependant la situation a été redressée par les changements législatifs récents et les tendances des tribunaux. Ce qu’il ne faut pas perdre de vue cependant, c’est que les tribunaux cherchent dans le cadre de procédures visant les enfants de protéger ces derniers et non d’être juste envers les parents.

Je comprend les revendications de l’organisme « Fathers for Justice », en partie, ils ont certainement poussé la réflexion juridique quant au rôle et la place des pères dans la vie des enfants après une séparation. Cependant, il faut se demander si les droits revendiqués pour les pères ne sont pas parfois conflictuels avec les besoins et l’intérêt des enfants.

Jurizone : De façon générale, parlez-nous d’une cause spéciale qui vous a réellement surprise ?

Me Haddad : C’est une cause d’adoption et de droit d’accès. Mon client était le conjoint de la mère de l’enfant depuis que l’enfant était âgé de quelques mois. La mère étant schizophrène et ayant une grande dépendance aux drogues, mon client a agit comme père pour cet enfant pendant trois ans et avait entamé des procédures pour adopter l’enfant avec un consentement spécial à l’adoption en faveur d’un conjoint signé par la mère. Les parties se séparent avant le jugement d’adoption. Ce fut une bataille incroyable et très émotionnelle afin de maintenir les procédures d’adoption et d’obtenir des droits d’accès pour le père adoptant qui tenait à cet enfant tout comme si c’était le sien. Le dossier était plein de rebondissements tels le retour du père biologique dans le décor et l’intervention de la grand-mère pour demander la garde. La bataille était incessante.

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