Entrevue avec Me Robert La Haye, criminaliste

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Avocat criminaliste, Me Robert La Haye a plus de 35 années d’expérience. Il a négocié à plusieurs reprises des prises d’otages et défendu diverses causes de meurtres, de voies de faits, de fraudes, de vols, sans mentionner le reste. Connu pour ses compétences pour la vulgarisation, il est l’un des avocats les plus médiatisés au Québec.  C’est avec grand plaisir qu’il a accordé une longue entrevue à Jurizone.

(Entrevue datant de 2005-04-01)

Jurizone : Pourquoi aviez-vous choisi le droit criminel ?

Me La Haye : Tout d’abord, mon orientation vers le droit a été décidée d’avance. Il faut dire que le métier que je pratique aujourd’hui est un rêve issu de mon enfance. L’influence vient en premier lieu de certains liens parentaux qui oeuvraient dans le domaine juridique (sans qu’ils soient toutefois spécialisés dans le droit criminel). Mais, si je remonte dans le temps, je me rappelle qu’il y a eu une hésitation entre le métier de mon père qui pratiquait la médecine et les sciences dites humaines.

Après des études en Droit, j’ai opté pour une carrière dans cette spécialité du Droit criminel. Toute fois, je me souviens que ce n’était pas par amour pour les études en Droit que j’ai fait ce choix mais plutôt pour la pratique. La pratique est très intéressante. On retire une grande satisfaction et un grand bien être lorsqu’on vient en aide à une personne. Ce métier de défendeur est donc important dans la mesure ou l’on défend des citoyens devant leur conduite dans l’État. Enfin, le métier d’avocat demande un minimum de discipline, il importe d’aimer la communication, la négociation et la confrontation courtoise. Des éléments qui m’ont poussé à aller là où je suis aujourd’hui

Jurizone : Comment vous sentez-vous lorsque vous avez un fort doute que la personne dont vous défendez pour meurtre est coupable ?

Me La Haye : Devant cette interrogation se trouve un principe de base : Tout citoyen qui est accusé d’un acte criminel a le droit de se défendre. Il a le droit de choisir l’avocat qu’il veut et ce dernier a le droit d’acceptation ou de refus du client de son choix. La décision du juriste se fait sur un plan personnel avec des motifs, dans la plus part des cas, basé sur la culpabilité de l’accusé. On peut mentionner des exemples flagrants tel que des cas évidents de pédophilie ou encore dans le cas des tueurs en série.

Le choix du client nécessite à répondre à un cas de conscience. Par exemple, lorsqu’un malade se présente chez le médecin en sachant le médicament qu’il veut on ne peut le considérer patient crédible puisque se pose alors la question de la nécessité du médecin. Ceci est semblable pour l’avocat qui doit enquêter et faire un travail sur le terrain pour étudier la précision des propos. Un client qui se présente chez l’avocat en lui disant quoi faire n’est souvent pas le bienvenu.

Maintenant, il est toujours possible de défendre un client coupable. Dans ce cas, l’acharnement se fera au niveau de la sentence. Enfin, durant mes 35 années de carrières dans ce métier, il m’est arrivé de refuser certains clients. La plupart du temps, c’était des personnes qui m’avouaient qu’elles étaient coupables mais qu’elles avaient de gros alibis à leur disposition.

Jurizone : Vous êtes souvent consulté par les médias. Quel fut l’élément déclencheur de ce fait.

Me La Haye : Dans un premier volet, ma présence dans les médias s’explique tout d’abord par les années d’expérience et de pratique dans le domaine juridique. J’ai acquis, durant ces années, une façon simple d’expliquer les faits. Toujours dans le but de rendre service à la population, j’aime vulgariser les procès et j’aime démystifier le système judiciaire en présentant mon domaine dans le langage populaire. Dans le second volet, j’aime cette présence dans les médias pour le simple plaisir de faire ce travail. L’atmosphère d’une station radiophonique ou télévisée est riche en expérience et le lien qui s’établit entre les différents intervenants est fort amical.

Jurizone : Que pensez-vous de la peine de mort ?

Me La Haye : Tout d’abord, je suis contre la peine de mort. Toute personne a droit à la vie. C’est fondamental.

Statistiquement parlant, il est inutile d’appliquer la peine de mort puisque des études démontrent clairement que cela ne diminue pas les crimes graves qui méritent la sentence de la peine capitale.

Voyons quelques exemples flagrants :

Le cas du fou : Ce n’est pas la peine de mort qui va l’arrêter de tuer. Cette personne est atteinte de certaines déficiences mentales. Si le fou commet un geste grave, il faut chercher à le soigner et non pas à le tuer.

Le cas d’un tueur a gage ou mercenaire : Ce type de criminels est considéré très dangereux dans notre société. Appliquer la peine de mort pour diminuer les mercenaires est une fausse conclusion. Ce type tue pour gagner de l’argent, et il fait ce crime tout en le raffinant le plus possible. Ce n’est donc pas la peine de mort qui va lui faire peur d’avancer dans son cheminement.

Le cas maladif : L’exemple d’un homme qui tue par plaisir de possession de sa femme. Ceci est présent dans les cas de violence conjugale suivie de divorce. L’homme, pour empêcher un autre de «posséder» sa femme, va l’assassiner. Dans ce cas, sa satisfaction va prendre le dessus. Cela devient en quelque sorte une forme de folie. Dans ce cas, rien ne va pouvoir l’empêcher d’exécuter ses plans. Souvent, ce genre de drame se termine par un suicide.

Bref, je suis contre la peine de mort que je considère comme une forme de « OEil pour oeil. Dent pour dent. ».

Jurizone : On entend parler de plus en plus dans les médias des cas de pédophilie, de meurtre, d’agression, de viol. Quels seraient, selon vous, les facteurs qui expliquent cette émergence?

Me La Haye : Le phénomène de pédophilie n’est pas nouveau. On a entendu le cas des orphelins de Duplessis. Depuis ce temps, ce qui a changé, c’est la tombée du rideau qui cachait ces malversations commises. Le sujet n’est plus considéré comme tabou. Aujourd’hui, il existe la dénonciation de ce type d’actes graves. La montée en puissance de ce sujet relate de plusieurs grands enjeux. Il importe de mentionner l’influence et les enjeux derrière la montée spectaculaires de ce type de procès :

  • L’obtention d’un droit pour les femmes.
  • L’urbanisation
  • L’évolution de la société
  • L’élaboration de la charte des droits et libertés

De ces acquis découle le monde des intervenants et c’est en bonne partie à cause de ces derniers qu’existe la dénonciation.

Jurizone : Que pensez-vous du système carcéral canadien comparé aux autres pays dans le monde ?

Me La Haye : Notre système carcéral est assez avancé. On peut le qualifier d’un bon système.

Cette qualification repose sur certains principes. Le système permet à la personne de gagner du temps. Il faut comprendre par là, que pour certains actes, on veut travailler pour décriminaliser l’accusé et, si possible, le mettre sur la bonne voie. Par exemple, il est possible, et ce, dans certains cas bien précis, de permettre à l’accusé de purger une peine de prison à domicile.

Le système est bon si on le compare avec le système judiciaire des États-Unis dans le cas des dossiers de stupéfiants. Chez nous, il existe une date fixe pour la sortie de prison de l’accusé, alors qu’aux États-Unis, la peine est limité entre deux espace de temps. Je pense que cette dernière méthode aide l’anti-rétablissement.

Chez nous, le principe n’est pas de remplir les prisons, mais de tenter une réhabilitation. Remarquez que le système ici tente de conscientiser la personne en trouvant des solutions alternatives.

Jurizone : Un sujet d’actualité : Doit-on adopter une définition universelle du mot « terrorisme » tel que suggéré par M. Kofi Annan, secrétaire général de l’ONU ? Et, que dire de la sécurité et de la liberté ?

Me La Haye : Je suis pour une définition universelle du mot «terrorisme».

Pour moi, le terrorisme c’est l’objet de semer la terreur gratuitement. C’est tuer sans être dans un état de guerre. Pour répondre à la sous question de liberté et sécurité, je dirais qu’il faut sanctionner les agissants de terrorisme mais avec un procès légal, juste et surtout avec un délai raisonnable. Si le pouvoir détient seulement des soupçons, ce sera incorrect de détenir la personne accusée. Dans ce cas, il faut trouver les preuves pour imputer des décisions.

Si au moindre doute, on incarcère l’accusé, je pense que nous tomberons dans un État dit policier.

Jurizone : Quel fut le fait le plus marquant de votre carrière ?   Y a-t-il une cause que vous auriez aimé défendre ou regrettiez d’avoir défendu ? Pourquoi ?

Me La Haye : En tant qu’avocat de la défense, j’ai déjà vécu une expérience très émouvante. Pour faire une histoire courte, c’est le sort d’une femme qui a enlevé la vie de son enfant malade et qui a tenté de se suicider. L’histoire de cette femme est très malheureuse. Elle pose le geste grave de tuer son enfant par désespoir. Après plusieurs tentatives de recherche d’une gardienne pour s’occuper de sa fille malade, personne n’accepte. Le cas de l’enfant est difficile à supporter et il n’y pas un service offert par l’hôpital. La cause devient perdu pour cette mère qui perd son emploie. Suite a ce dénouement, elle tue son enfant. Mon rôle ici, n’était pas de démontrer l’innocence de la mère, il est certain qu’elle était coupable. Je devais diminuer la sentence le plus possible. Le geste commis par cette femme est un acte de désespoir et non pas par plaisir ou par volonté.

Jurizone : Quels conseils donneriez-vous à des personnes désirant suivre votre cheminement ?

Me La Haye : Le métier que je pratique et, surtout, la spécialisation (le droit criminel) ne sont pas une affaire d’hommes comme certains continue à le penser.

Ce qu’il faut avoir et développer comme aptitudes, ce sont : Le sens de la communication, la capacité de recevoir et l’intervention au bon moment. Il faut aimer la négociation et la confrontation. Il faut être persévérant et travaillant. Il ne faut pas personnaliser les situations.

Les sens de la politesse et de la courtoisie, de l’honnêteté et de la loyauté sont des atouts incontournables. Il faut toujours être raisonnable et avoir le souci du détail. Il ne faut pas être triomphaliste lors des victoires, ni pessimiste lors des défaites. Finalement, il ne faut jamais oublier le respect de la déontologie.

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