Ambush marketing : un casse-tête olympique.

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Par Me Marianne Saroli, avocate.

Avocate du Québec à Londres développant son expertise en droit des sports. Collaboratrice de Jurizone en ce moment à Londres.

Après un mariage royal et le jubilé du diamant de la Reine, voilà maintenant les Jeux Olympiques. Vous l’aurez deviné, 2012 est sans aucun doute l’année des britanniques. C’est le 27 juillet dernier que la reine Elizabeth donnait le coup d’envoi aux Jeux de Londres. Trentième olympiade présentée pour la troisième fois à Londres, la frénésie des Jeux Olympiques d’été était pourtant déjà bien installée depuis plus de trois semaines dans cette ville qui accueille cette année près de 10 500 athlètes internationaux.

Pour un athlète,  les Jeux Olympiques constituent le but ultime d’une carrière et la concrétisation d’un rêve. Pour un juriste, les jeux olympiques constituent notamment, mais non exclusivement, la détermination des droits des athlètes y participant.

La présence de conflits et de contentieux dans le sport est imminente. L’éligibilité des athlètes, les scandales entourant le dopage, la discrimination, la violence, la corruption, l’expansion de la commercialisation, des commanditaires et de l’influence médiatique ne sont que quelques unes des problématiques auxquelles doit faire face l’avocat en droit du sport.

Vous vous rappelez sûrement du décès du lugeur géorgien Nodar Kumaritashvili lors de sa descente d’entraînement en 2010 aux Jeux olympiques d’hiver à Vancouver. Face à une telle situation, les questions d’ordre juridique sont bien concrètes. Qui est responsable?  Le lugeur allait-il trop vite ? Est-ce que la piste présentait des normes de sécurité adéquates? Est-ce que la piste était mal construite? L’avocat en droit sportif doit résoudre ce type de questions et c’est ce qui fait du droit sportif un droit si complexe, mais si captivant.

Nul besoin de vous mentionner que la controverse est toujours bien présente lors des Jeux olympiques. Identifier toutes les problématiques auxquelles doit faire face un avocat dans un même article relève toutefois de l’impossible. Le présent  article traitera de la propriété intellectuelle des Olympiques.

Le mouvement olympique comprend plusieurs entités qui gouvernent tant la structure nationale qu’internationale. Au sommet de cette structure se trouve le Comité international olympique (ci-après « CIO ») qui est « le gardien des Jeux Olympiques. Le CIO est l’autorité suprême pour toute question relative aux Jeux et responsable d’un certain nombre de secteurs clés de l’organisation des Jeux. [i]».  À ce titre, le CIO reconnaît deux (2) entités jouant un rôle prédominant dans le mouvement olympique : les Fédérations internationales (ci-après « FI ») et les Comités nationaux olympiques (ci-après « CNO »). La FI administre les programmes olympiques pour un sport en particulier alors que les CNO représentent et développent le Mouvement olympique dans leurs pays et territoires respectifs[ii]. En 1984, le CIO a créé le Tribunal Arbitral du Sport (ci-après « TAS ») afin de résoudre les problèmes relatifs aux sports olympiques.  Bien entendu, tous les athlètes sont soumis à l’application des règles et des standards mis en place par le CIO, le FI et le CNO[iii]. Tout différend qui survient lors Jeux Olympiques est du ressort exclusif du TAS et ce, suivant le Code de l’arbitrage en matière de sport.

À l’occasion des Jeux 2012, il existe actuellement deux (2) importantes menaces à la propriété olympique soit, la violation de la marque olympique et le ambush marketing (marketing insidieux).La Charte olympique décrit les droits sur les Jeux et les propriétés olympiques plus particulièrement à son article 7 (2) :

« Le symbole olympique, le drapeau, la devise, l’hymne, les identifications (y compris, mais sans s’y restreindre, « Jeux Olympiques » et « Jeux de l’Olympiade »), les désignations, les emblèmes, la flamme et les flambeaux (ou les torches) olympiques (,…)seront, collectivement ou individuellement, désignés comme « propriétés olympiques ». L’ensemble des droits sur toutes ou chacune des propriétés olympiques, ainsi que tous les droits d’usage y relatifs, sont la propriété exclusive du CIO, y compris, mais sans s’y restreindre, en ce qui concerne leur usage à des fins lucratives, commerciales ou publicitaires. Le CIO peut céder une licence sur tout ou partie de ses droits aux termes et conditions fixés par la commission exécutive du CIO.[iv] »

Les commanditaires corporatifs paient des millions de dollars pour obtenir les droits de promouvoir les Jeux olympiques ainsi que le droit d’utiliser la marque de commerce olympique. La valeur de ces droits est toutefois diluée lorsque des tiers non autorisés utilisent la marque, phénomène communément appelé ambush marketing (marketing insidieux).  Ledit phénomène est très répandu, mais parfois, il peut être difficile à déceler. Il s’agit d’un « type de marketing, de biens ou de services, par lequel les compagnies tentent de s’associer à un événement sportif sans être un commanditaire officiel ou sans avoir rempli les responsabilités financières de la commandite[v]. »

Pour bien comprendre ce phénomène, prenons par exemple Nike. Avant même le début des Jeux olympiques de Londres, Nike a tenté de s’y associer. Un seul problème. Même si Nike est partenaire de plusieurs athlètes et d’équipes sportives, il ne détient pas pour autant de droits commerciaux. C’est Adidas qui est le fier commanditaire des Jeux olympiques de Londres 2012. Nike a malgré tout tiré une campagne publicitaire « Find your greatness », laquelle campagne repose sur des athlètes qui habitent Londres[vi].  De telle sorte que Nike jouit de l’image olympique et ce, sans même payer de commandites. Face à une telle situation, c’est à se demander à quoi bon sert pour une compagnie comme Adidas d’investir des sommes aussi importantes d’argent pour agir à titre de commanditaire officiel si elle n’est pas suffisamment protégée.  Ce faisant,  Nike affecte grossièrement la valeur accordée à Adidas, commanditaire officiel.

Pourtant, Nike n’est pas à sa première tentative d’ambush marketing. Rappelons-nous des Jeux olympiques de 1996 à Atlanta. Nike avait construit un village Nike près du village des athlètes, il affichait aussi sa publicité sur le site olympique et distribuait des drapeaux à l’effigie de Nike. Tout laissait croire que Nike était le commanditaire officiel des Jeux d’Atlanta[vii]. Pourtant, c’était Reebok qui avait acquis des droits commerciaux et non Nike. Un sondage subséquent aux Jeux olympiques de 1996 démontrait que 22% des téléspectateurs des Jeux d’Atlanta croyaient que Nike était le commanditaire officiel des Jeux de 1996 alors que seulement 16% estimaient qu’il s’agissait de Reebok, réel commanditaire officiel[viii].

Une telle pratique dissuade ainsi les compagnies à investir dans les Jeux olympiques et sans leur investissement, le CIO risque de ne pas avoir les sommes d’argent nécessaires à la viabilité des Jeux. Le ambush marketing tout comme les violations de la marque olympique portent donc directement atteinte à l’existence même des Jeux Olympiques, car leur existence dépend essentiellement de leurs commandites privées.

Comment sanctionner de telles pratiques ? La marque olympique n’est protégée que par un seul traité international, le traité Nairobi concernant la protection du symbole olympique[ix]. À son article 1, ledit Traité indique  « Tout État partie au présent Traité est tenu, sous réserve des articles 2 et 3, de refuser ou d’invalider l’enregistrement comme marque et d’interdire, par des mesures appropriées, l’utilisation comme marque ou autre signe, à des fins commerciales, de tout signe constitué par le symbole olympique ou contenant ce symbole, tel que défini dans la Charte du Comité international olympique, sauf avec l’autorisation du Comité international olympique. Ladite définition et la représentation graphique dudit symbole figurent à l’annexe.[x] » Toutefois, force est de constater que ce traité s’est avéré un réel échec. Un échec qui se justifie sans doute par le fait que les droits de la marque olympique étaient conférés au CIO et non aux CNO[xi]. Peu d’États se sont portés signataires dudit Traité. D’ailleurs, le Canada et les États-Unis n’y ont pas adhéré[xii].

En ce qui concerne les Jeux de Londres 2012, il n’y a pas de loi spécifique qui traite du ambush marketing. Toutefois, il y a trois (3) lois qui peuvent trouver application :

Le Olympic Symbol etc. (Protection) Act 1995 tente de prévenir les associations commerciales non autorisés avec les Jeux olympiques et les Jeux de Londres.  L’application de cette loi a pour but d’interdire l’usage des termes et logos associés aux Jeux sans autorisation préalable tels que le symbole olympique, la devise olympique Citius, Altius, Fortius ou simplement l’usage des mots « olympique(s)», «olympiade(s)», « olympien(s)[xiii]. »

Le  London Olympic Games and Paralympic Games Act 2006, pour sa part, interdit spécifiquement les représentations verbales et non verbales qui pourraient laisser croire à une association avec les Jeux de Londres. Cette loi présente une liste non-exhaustive d’expressions suggestives d’une association quelconque aux Jeux de Londres tels que « Games (jeux) », « Two Thousand and Twelve (deux milles douze)», « 2012 », « Gold (or) », « Silver (argent) », « Medals (médailles) », « London », « Summer (été)» etc, lesquels termes sont de la propriété olympique[xiv].

Enfin,  le London Olympic Games and Paralympic Games (Advertising and Trading) (England) Regulations 2011 exerce un contrôle sur certaines formes d’activités publicitaires, accordant à la police londonienne la possibilité d’exercer leur pouvoir contre la publicité non autorisée[xv].

En l’absence de loi spécifique, le droit des marques,  le droit de la concurrence et le droit des contrats (principalement du ressort de la responsabilité civile) doivent recevoir application pour protéger les intérêts des commanditaires et parrains des Jeux olympiques.

Il n’existe donc pas de dispositions spécifiques, ni de traités internationaux qui tendent à interdire et/ou à prévenir l’ambush marketing. Toutefois, certaines dispositions de la Charte olympique restreignent la portée du ambush marketing à l’occasion des Jeux. Par exemple, la publicité sur les sites de compétition est interdite[xvi].

Or, sanctionner cette activité suppose non seulement l’existence d’une faute, mais encore faut-il que cette faute cause un préjudice. Vous comprendrez que le préjudice subi par Adidas est difficile à évaluer dans la mesure où Nike ne cherche pas nécessairement à nuire à l’image commerciale des Jeux de Londres[xvii]. Bien au contraire, Nike tente indirectement de s’associer lui aussi à l’événement sans pour autant avoir l’intention malveillante de ternir la réputation de son concurrent Adidas.  Nike ne cherche pas non plus à détourner la clientèle des Jeux[xviii]. Par conséquent, le CIO peut difficilement y voir un préjudice.

Bien que le CIO tente de limiter les infractions reliés au ambush marketing, elle n’est pas, bien malgré elle, source de protection sur le plan international pour les commanditaires officiels. À ce stade-ci, il s’agit d’autant plus d’une question éthique que juridique. Mais son importance est cruciale, car la viabilité des Jeux olympique est certes mise en péril. Les juristes devront s’efforcer de mettre en place des mécanismes de protection plus efficaces, car l’illégalité du ambush marketing est à ce jour encore bien incertaine.


[i] Ray YASSER, James MCCURDY, C. Peter GOPLERUD, Maureen A. Weston, Sports Law Cases and materials, Seventh Edition, San Francisco, Lexis Nexis, 2011, 916

[ii] Id., 916-917

[iii] Id., 936-937

[iv] Charte olympique, Texte d’application des Règles 7 à 14, art. 1.3, en ligne :

http://www.olympic.org/Documents/Olympic%20Charter/Charter_fr_2010.pdf [ci-après « Charte olympique »]

[v] Teresa SCASSA, “Faster, Higher, Stronger: The Protection of Olympic and Paralympic Marks Leading Up to Vancouver 2010”,(2008) 41 U.B.C. L. Rev.33

[vi] Mark SWENEY,  Olympics 2012: Nike plots ambush ad campaign, 2012, en ligne:

http://www.guardian.co.uk/media/2012/jul/25/olympics-2012-nike-ambush-ad

[vii] Cristina Garrigues, “Ambush Marketing: Robbery or Smart Advertising? “, (2002) 24:11 European Intellectual Property Review, 505 – 506

[viii] Id.

[ix] Traité de Nairobi, 26 septembre 1981, OMPI.

[x] Id., art. 1

[xi] Catherine BERGERON, “Canada protects the Olympic marks in expectation of the

2010 winter games in Vancouver”, Robic, en ligne: http://www.robic.ca/publications/Pdf/173.019ECMB%

202008.pdf.

[xii] Parties contractantes du Traité de Nairobi, en ligne :

http://www.wipo.int/treaties/fr/ShowResults.jsp?lang=fr&treaty_id=22.

[xiii] Olympic Symbol etc. (Protection) Act 1995, texte d’application, en ligne : http://www.legislation.gov.uk/ukpga/1995/32/contents

[xiv] London Olympic Games and Paralympic Games Act 2006, texte d’application, en ligne :

http://www.legislation.gov.uk/ukpga/2006/12/contents

[xv]London Olympic Games and Paralympic Games (Advertising and Trading) (England) Regulations 2011, texte d’application, en ligne: http://www.legislation.gov.uk/ukdsi/2011/9780111515969

[xvi] Charte olympique, précité, note v, art. 51.

[xvii] Amandine PÂQUET, Le régime juridique de l’ambush marketing, mémoire de maîtrise, Strasbourg, Centre d’Études Internationales de la Propriété Intellectuelle, Université Robert Schuman, 2006, 31

[xviii] Id.

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