Tabagisme subi en milieu professionnel : rupture du contrat

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Par Bruno Tourret (juriste en France, collaboration spéciale, 2007)

Je suis salarié d’une entreprise privée. Mon employeur fume dans les locaux professionnels malgré l’interdiction en vigueur depuis le 1er février 2007, ce qui m’incommode particulièrement. Puis je quitter l’entreprise sur ce fondement ?

A cette question qui est pour le moins d’actualité, il convient de répondre par la positive, sur le fondement de la fameuse « prise d’acte de rupture du contrat de travail ».

1. BREFS RAPPELS SUR LA NOTION DE PRISE D’ACTE DE RUPTURE DU CONTRAT

Eu égard à notre cas d’espèce, la prise d’acte de rupture du contrat de travail peut se définir comme la situation dans laquelle le salarié considère que le comportement de son employeur rend impossible le maintien du contrat de travail. Ainsi et de façon générale, la partie qui prend acte de la rupture en impute la responsabilité à l’autre.

La prise d’acte de rupture du contrat constitue une situation de fait qui n’est pas réglementée par le code du travail. Le fondement de la prise d’acte de rupture n’est donc pas un fondement légal mais prétorien. La Cour de cassation a construit le régime juridique de la prise d’acte à compter des années 2000.

Lorsque l’employeur et le salarié sont d’accord pour admettre que le contrat de travail a été rompu, chacune des parties imputant à l’autre la responsabilité de cette rupture, il incombe alors au juge de trancher ce litige en décidant quelle est la partie qui a rompu le contrat (Cour de cassation, chambre sociale 14 novembre 2000, n° 98-42.849 ; 3 novembre 2005, n° 03-43.437).

La prise d’acte de rupture du contrat de travail constitue une alternative particulièrement intéressante à la démission, d’autant plus qu’en cas de démission, le salarié ne sera pas indemnisé par le régime d’assurance-chômage.

Dans le cas où le salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail et saisi le juge prud’homal, celui-ci aura alors pour mission de déterminer si les griefs du salarié (en l’espèce le fait de fumer dans les locaux professionnels) sont fondés ou non. S’ils sont fondés, le juge prud’homal requalifie la prise d’acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Dans le cas contraire, la prise d’acte prend l’effet d’une démission (Cour de cassation, chambre sociale 25 juin 2003, n° 01-42.335).

2. LE FAIT DE FUMER DANS LES LOCAUX PROFESSIONNELS JUSTIFIE UNE PRISE D’ACTE DE RUPTURE DU CONTRAT A L’INITIATIVE DU SALARIE

Tous les griefs invoqués par le salarié ne sont pas susceptibles de justifier la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur. Les griefs retenus doivent être établis et être « suffisamment graves ».

Est considéré comme un manquement suffisamment grave pour caractériser une rupture du contrat de travail imputable à l’employeur :

Le fait de ne pas respecter ou de ne pas faire respecter l’interdiction de fumer dans les locaux à usage collectif. La prise d’acte de la rupture du contrat de travail par un salarié non fumeur produit ainsi les effets d’un licenciement abusif, sur le fondement du manquement par l’employeur de son obligation de sécurité de résultat vis-à-vis de ses salariés en ce qui concerne leur protection contre le tabagisme dans l’entreprise (Cour de cassation 29 juin 2005, n° 03-44412) :

« (…) la Cour d’appel a relevé que l’employeur, malgré les réclamations de la salariée, s’était borné à interdire aux autres salariés de fumer en sa présence et à apposer des panneaux d’interdiction de fumer dans le bureau à usage collectif qu’elle occupait ;

qu’elle en a exactement déduit que l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat vis-à-vis de ses salariés en ce qui concerne leur protection contre le tabagisme dans l’entreprise, n’avait pas satisfait aux exigences imposées par les textes précités et a, en conséquence, décidé que les griefs invoqués par la salariée à l’appui de sa prise d’acte justifiaient la rupture du contrat de travail, de sorte qu’elle produisait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; »

3. CONSEQUENCE PRATIQUE DE LA PRISE D’ACTE DE RUPTURE

Concrètement, les incidences de la prise d’acte de rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié sont de deux ordres. Soit le juge prud’homal considère que les griefs invoqués le salarié ne justifiait pas la rupture du contrat de travail. Dans cette hypothèse, la prise d’acte est requalifiée en démission avec toutes les conséquences négatives qui en découle (non indemnisation par le régime d’assurance chômage…).

Soit le juge prud’homal considère que les griefs servant de fondement à la prise d’acte justifiaient la rupture du contrat de travail. C’est le cas en l’espèce puisque la jurisprudence juge que le fait pour l’employeur de ne pas faire respecter l’interdiction de fumer constitue un manquement à son obligation de sécurité de résultat vis-à-vis de ses salariés en ce qui concerne leur protection contre le tabagisme dans l’entreprise.

Le juge prud’homal va alors requalifier la prise d’acte de rupture du contrat en licenciement sans cause réelle et sérieuse. La solution posée par la jurisprudence est tout à fait intéressante dans la mesure où le salarié dispose de l’opportunité de quitter l’entreprise de sa propre initiative, mais en droit le juge considèrera que la rupture du contrat de travail sera requalifiée de licenciement abusif !

Les conséquences de la rupture du contrat de travail seront alors supportées par l’employeur qui devra verser des indemnités au salarié. Les indemnités reçues par le salarié seront celles applicables en matière de licenciement sans cause réelle et sérieuse, à savoir :

i. Si le salarié a moins de deux ans d’ancienneté

Le salarié peut solliciter le cumul des indemnités pour licenciement irrégulier (c’est à dire inobservation de la procédure de licenciement) et licenciement sans cause réelle et sérieuse. Dans ce cas, le salarié aura droit :

Sur le fondement de l’article L. 122-14-4 du Code de travail : une indemnité égale à un mois de salaire maximum en cas de violation des dispositions de l’article L. 122-14 alinéa 2 relative à l’assistance du salarié part un conseiller. Sur le fondement de l’article L. 122-14-5 du Code du travail : une indemnité appréciée par le juge en fonction du préjudice subi, pour toute autre inobservation de la procédure.

Sur le fondement de l’article L. 122-14-5 du Code du travail : une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse appréciée par le juge en fonction du préjudice subi (pour obtenir une indemnité substantielle, il sera alors conseillé au salarié de démontrer que le préjudice, résultant du fait d’avoir subi le tabagisme au cours de l’exécution de son contrat de travail, lui a causé un important préjudice tant moral que physique).

ii. Si le salarié a plus de deux ans d’ancienneté

Dans cette hypothèse, le salarié qui aura pris acte de la rupture de son contrat et dont le juge aura requalifié la prise d’acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse, aura droit :

Soit à une indemnité égale à un mois de salaire maximum pour inobservation de la procédure de licenciement (article L. 122-14-4 du Code du travail). Soit à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au moins égale au salaire des six derniers mois (article L. 122-14-4 du Code du travail).

En effet, dans le cas où le salarié a plus de deux d’ancienneté, il ne peut cumuler les indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et licenciement irrégulier.

 

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