Offshoring ou le nouvel Orient Express

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Par Alain Langlois (2008)

Il y a maintenant plusieurs mois, je suis tombé sur un article dans le journal mensuel de l’Association du Barreau Canadien(1)  (comme quoi il est toujours bon de jeter un coup d’œil dans ce qui tombe dans notre boîte aux lettres) qui parlait d’une nouvelle mode, commencée aux États-Unis, mais maintenant aux frontières du Canada : le « legal offshoring », ou encore, la sous-traitance des services légaux. On y apprenait que les grandes firmes américaines avaient trouvé un moyen de réduire les coûts associés aux « tâches de base » dans le domaine juridique, telles la recherche, la composition de mémoires ou encore la rédaction et la révision de contrats, en les offrant en sous-traitance à des entreprises spécialisées. Ce qui frappait de l’article n’était pas tant l’idée qui somme toute est assez conséquente avec l’idée que l’on se fait du capitalisme, mais plutôt l’origine des fournisseurs de ces services. En effet, dans bien des cas, les fournisseurs de services légaux sont basés non pas dans l’Indiana mais bien… en Inde.

Est-ce là un phénomène marginal ? Il semble que la tendance soit forte et que la pression sur le secteur juridique américain se fasse sentir. Vous vous demandez sûrement comment les firmes américaines peuvent faire confiance à des avocats étrangers, provenant au surplus d’un pays en développement, pour traiter des documents légaux qui peuvent, dans certains cas, valoir plusieurs millions de dollars. La réponse est pourtant bien simple, ce n’est qu’une question de mathématiques. De la population totale indienne(2)  (1.1 milliard), on dénombre pas moins d’un million d’avocats(3) . Si on ne considère que le 1% des plus brillants (dont une partie a étudié dans les grandes universités américaines et britanniques), je vous laisse seulement imaginer la qualité prodigieuse des avocats dont l’Inde peut se vanter de compter dans ses rangs. Ajoutez à cela une tradition juridique de common law et vous vous retrouvez avec des professionnels hautement qualifiés et versatiles, capables de faire le même boulot que leurs homologues américains. La crème de la crème de l’hémisphère oriental, à une fraction du prix occidental.

Car, c’est bien sûr là que réside l’intérêt(4)  du « offshoring » ; les compagnies indiennes peuvent facturer(5)  entre 80$ à 150$ de l’heure pour du travail de recherche ou la composition de brevets. Pour des services de base (la révision de contrats, par exemple), ces mêmes compagnies peuvent facturer aussi peu(6)  que 20$ de l’heure. Aux États-Unis toutefois, les grandes firmes facturent(7)  souvent plus de 250$ de l’heure pour les mêmes services. Une autre comparaison ? Les avocats indiens travaillant pour Lexadigm(8) , une compagnie américaine ayant des bureaux à quelques kilomètres de New Delhi, empochent(9)  entre 6000$ et 36000$ par année. Un stagiaire américain peut, quand à lui(10),  faire plus de 150000$ par année…

Le « legal offshoring » a de quoi inquiéter. Mais, peut-être pas non plus. La firme de recherche américaine Forrester estime(11)  que près de 50000 emplois américains dans le domaine juridique seront perdus au profit de pays comme l’Inde et ce, d’ici 2015. Qui a dit que les avocats étaient à l’abri du libre-échange et de l’OMC ? Il semble toutefois exister certaines avenues intéressantes pour les plus entrepreneurs. Par exemple, on peut facilement concevoir que les compagnies en Inde auront eux-mêmes besoin d’avocats occidentaux afin de diriger le travail et faire le pont entre les deux parties du monde. Un avocat possédant de solides contacts ou même une certaine expérience en immigration(12)  peut sûrement trouver une oreille attentive là-bas…

En conclusion, un monde de possibilités s’ouvre aujourd’hui avec le réveil des grandes puissances orientales. En effet, l’Inde peut s’avérer une porte d’entrée sur toute une main d’œuvre asiatique spécialisée et compétente. Sans toutefois entrer dans une forme de néo-colonialisme, des ententes favorables à toutes les parties sont sûrement une avenue qu’il est possible d’envisager dans les prochaines années. Toronto et Montréal sont à un jet de pierre de la frontière américaine et il faut voir à profiter d’une position aussi stratégique. Ne laissons pas le train passer et prenons les commandes !

(1) National, Juin 2006, Volume 15, no. 4. (2) http://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9mographie_de_l’Inde (3) http://www.lawyersweekly.ca/index.php?section=article&articleid=580 (4) De plus, il faut noter le décalage horaire; alors que New York et Montréal dorment sur leurs deux oreilles, des odeurs de café planent sur Mumbai…(5) National, Juin 2006, Volume 15, no. 4, à la p. 23. (6) Ibid. (7) http://www.legalaffairs.org/issues/May-June-2005/scene_brook_mayjun05.msp (8) http://www.lexadigm.com/index.php (9) http://www.legalaffairs.org/issues/May-June-2005/scene_brook_mayjun05.msp (10) http://www.nytimes.com/2006/09/01/business/01legal.html (11) http://www.bloomberg.com/apps/news?pid=20601103&refer=news&sid=aBo8DnfekWZQ (12) Par exemple, dans le domaine des visas de travail et d’entrepreneurs…

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