La confusion des marques notoires

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Par Nathalie Gauthier.

Après 14 ans de préparation de l’instruction par les parties et huit semaines d’instruction réparties sur une année, après le dépôt de plus de 6 000 pièces, de 200 classeurs, de douzaines de brochures et de dizaines d’échantillons d’accessoires comme des valises, des porte-documents, des sacs à dos, des chaînettes porte-clés, des pochettes de documents pour voiture, des chaînettes pour porte-clés et des automobiles jouets, la Cour fédérale, dans l’arrêt Remo Imports Ltd. c. Jaguar Cars Ltd. 2006 CF 21, s’est montrée disposée à conclure l’existence d’une confusion avec des marques notoires, et ce, malgré le fait que les marchandises soient apparemment différentes des parties.

L’affaire opposait Remo Imports Ltd, partie demanderesse, une compagnie fondée en 1973 par Moise Bassal, à Jaguar Cars Limited et Ford du Canada Ltée, parties défenderesses. Le Tribunal a été appelé à trancher la question de savoir qui avait droit à la marque Jaguar, pour quels produits et pour quelle période.

Situons tout d’abord les faits : M. Bassal né à Beyrouth au Liban en 1947, obtient un diplôme d’enseignement à Paris, après avoir obtenu son baccalauréat à l’Université de Beyrouth. Arrivé à Montréal en 1967, il occupe un poste d’enseignant durant 4 ans. Durant cette période, il importe du Liban des sacs à mains en cuir pour les revendre au Canada. Il quittera finalement l’enseignement pour se consacrer entièrement à son entreprise.

Lors d’un voyage en Italie en 1979 où il visite un ami, propriétaire de la compagnie Jaguar S.R.L., (cette dernière vend des bagages en Italie et en Europe sous la marque de commerce Jaguar), M. Bassal obtient alors l’accord de son ami pour utiliser la marque Jaguar sur ses produits distribués au Canada, il visite un ami, propriétaire de la compagnie Jaguar S.R.L., distribués au Canada..

De retour au Canada, M. Bassal fait effectuer une recherche de disponibilité et, en 1981, il obtient l’enregistrement de la marque de commerce Jaguar pour des fourre-tout et des articles de bagages. L’enregistrement est alors étendu à des sacs à mains et des sacs d’école. Les articles vendus par Remo se retrouvent principalement dans les magasins à rayons et les détaillants tels que Zellers, K-Mart, Bentley et Tigre Géant.

En 1991, Remo intente des procédures contre Automobiles Jaguar pour contrefaçon de sa marque de commerce et pour commercialisation trompeuse. Ce dernier s’objecte à la vente par Automobiles Jaguar de certains accessoires comprenant notamment portefeuille, porte-cartes et porte-clefs.

La Cour fédérale du Canada a jugé que la preuve établissait la confusion et la dépréciation de l’achalandage de la marque Jaguar. Le tribunal a indiqué qu’il y avait un « prolongement naturel de la marque, des voitures de luxe aux valises » et a identifié les facteurs suivants comme étant pertinents :

un chevauchement de la fonction et de l’emploi concurrent des marchandises Jaguar des parties, une pratique industrielle dans le monde établissant que d’autres marques automobiles ont fait leur entrée dans le monde des bagages;

qu’il y avait une entrée effective de Jaguar Cars dans le monde des bagages et que ceci avait été son intention pendant de nombreuses années avant l’adoption, par Remo de la marque Jaguar;

et qu’il y avait un lien dans les attributs de la marque telle que perçu par les consommateurs

La preuve a révèlé que les automobiles étaient vendues au Canada sous la marque Jaguar depuis 1936 et que les Automobiles Jaguar vendaient également des accessoires personnels sous la marque Jaguar ainsi que sous les marques figuratives s’y rapportant depuis les années 50.

Le Tribunal a analysé les sondages mis en preuve par les parties, leur admissibilité selon les critères jurisprudentiels et leur validité selon les témoignages des experts, pour arriver à la conclusion que Automobiles Jaguar possède depuis longtemps une relation avec des accessoires personnels. Il est en ressorti de l’analyse que Jaguar est une marque notoire au Canada associée à des produits de luxe de très haute qualité. Dès 1980, la marque Jaguar était utilisée au Canada depuis 44 ans. Elle était également déposée dans 95 pays. Elle générait des ventes de plusieurs millions de dollars au Canada et faisait l’objet de publicité substantielle et de livres et articles indépendants.

Le Tribunal s’est penché ensuite sur la protection accrue accordée aux marques notoires et passe en revue la jurisprudence s’y rapportant. Il note que l’article 22 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, c. T-13, qui stipule que « nul ne peut employer une marque de commerce déposée par une autre personne d’une manière susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à cette marque de commerce » s’applique lorsqu’un nouveau venu utilise une marque bien connue dans un champ d’activités non-concurrent ou pour des produits pour lesquels la marque n’est pas déposée.

Le Tribunal a souligné qu’il n’était pas nécessaire qu’il y ait confusion au niveau des produits, ni concurrence directe. On devait plutôt considérer la réputation générale de l’utilisateur senior. Celui-ci ne perd pas de ventes mais le caractère unique et distinctif de sa marque est affecté.

Le Tribunal a conclu que les marques de Remo sont invalides et devaient être radiées. Il lui est interdit de vendre des produits de consommation portant l’une des marques Jaguar.

Note de l’auteur: L’information contenue dans cette chronique est générale et ne constitue pas un avis juridique.

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