La norme d’intervention en appel relativement au par. 24 (1) de la Charte canadienne des droits et libertés.
Par Hassan Trabulsi, étudiant en droit, École du Barreau du Québec.
Dans l’affaire R. c. Bellusci (2012 CSC 44), la Cour suprême nous rappelle qu’une réparation accordée en première instance sur le fondement du par. 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés ne doit être réformée que si le juge du procès s’est fondé sur des considérations erronées en droit ou si sa décision est erronée au point de créer une injustice.
Les faits
Le 15 mai 2007, M. Asselin, agent de détention, a assuré le transport de détenus, dont M. Bellusci, entre le palais de justice de Montréal et un établissement pénitentiaire à Laval.
Sur la base de la preuve, le juge du procès est convaincu que M. Bellusci s’est livré à des attaques verbales, abusives, insultantes et grossières à l’endroit de M. Asselin. Suite à ces attaques, ce dernier a compromis la sécurité de M. Bellusci en dévoilant aux autres détenus à bord du fourgon cellulaire que M. Bellusci était un violeur. En réaction à ce dévoilement, M. Bellusci a menacé de violer l’épouse et les enfants de M. Asselin. Celui-ci a été blessé alors qu’il a entrepris d’ouvrir la cellule du fourgon et que M. Bellusci a violemment repoussé la porte sur lui. M. Asselin a ensuite agressé et blessé M. Bellusci, qui était alors enchaîné, menotté et entravé aux pieds dans une cellule du fourgon.
Le juge du procès en vient à la conclusion qu’il y a eu atteinte aux droits constitutionnels de M. Bellusci garantis à l’article 7 de la Charte canadienne et que l’arrêt des procédures constitue la réparation convenable dans le cas en l’espèce.
La Cour suprême se penche donc sur la question de savoir dans quelles conditions un tribunal d’appel pourra modifier la décision d’un juge de première instance quant à la réparation adéquate:
[17] Il est bien établi que l’ordonnance rendue en première instance sur le fondement du par. 24(1) de la Charte ne doit être réformée par une cour d’appel « que si [le juge du procès] s’est fondé sur des considérations erronées en droit ou si sa décision est erronée au point de créer une injustice » : R. c. Regan, 2002 CSC 12, [2002] 1 R.C.S. 297, au par. 117; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391, au par. 87.
[18] Dans l’arrêt R. c. Bjelland, 2009 CSC 38, [2009] 2 R.C.S. 651, lorsqu’elle renvoie à Regan, la Cour confirme à l’unanimité qu’il s’agit de la norme de contrôle applicable (le juge Rothstein, au par. 15; le juge Fish, au par. 51). Avec l’appui des juges Binnie et Abella, également dissidents quant au résultat, j’y affirme ce qui suit au sujet de la norme de contrôle convenue :
Sur présentation d’une demande fondée sur le par. 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, dès lors qu’une violation a été établie, le juge de première instance doit accorder « la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances ». La réparation doit assurer la protection des droits du demandeur, être équitable pour la partie visée par l’ordonnance et tenir compte de toutes les autres circonstances pertinentes. Un tribunal d’appel peut modifier la décision rendue par un juge du procès qui a exercé son pouvoir discrétionnaire uniquement si ce dernier a commis une erreur de droit ou rendu une décision injuste. Cela est particulièrement vrai s’il s’agit d’une réparation accordée par un juge de première instance sur le fondement du par. 24(1) de la Charte dont le libellé même confère le plus vaste pouvoir discrétionnaire possible à ce dernier. Enfin, les tribunaux d’appel doivent tout particulièrement se garder de substituer l’exercice de leur propre pouvoir discrétionnaire à celui déjà exercé par le juge du procès simplement parce qu’ils auraient accordé une réparation plus généreuse ou plus limitée. [Italiques employés dans l’original; par. 42.]
Le juge Fish, au nom de la majorité, indique qu’à défaut d’une erreur de droit ou d’une conclusion de fait susceptible de contrôle, une cour d’appel doit déférer à l’exercice du vaste pouvoir discrétionnaire que confère au juge de première instance le par. 24(1) de la Charte. Tel qu’il a été mentionné dans l’affaire Bjelland, les tribunaux d’appel doivent tout particulièrement se garder de substituer l’exercice de leur propre pouvoir discrétionnaire à celui déjà exercé par le juge du procès simplement parce qu’ils ont accordé une réparation plus généreuse ou plus limitée.
La Cour suprême en vient donc à la conclusion que le juge du procès n’a commis aucune erreur quant au droit applicable ni d’erreur de fait susceptible de contrôle. L’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’ordonner l’arrêt des procédures n’est pas non plus erroné au point de créer une injustice.
Le texte intégral du jugement est disponible ici.
Référence neutre: [2012] ABD 342
(c) Hassan Trabulsi, 2012. Tous droits réservés.