Entrevue avec Me Stéphane Lacoste, président de l’Association du Barreau Canadien au Québec

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Stéphane Lacoste 2016Il est le président de l’Association du Barreau Canadien au Québec, une organisation qui compte des milliers de juristes. Il est aussi membre de l’Institut canadien d’administration de la Justice, une organisation ayant pour mission de favoriser l’amélioration de l’administration de la justice tout en formant des juges partout au Canada et en favorisant les échanges entre les avocats et la magistrature. De plus, il est l’avocat général de Teamsters Canada, un syndicat national qui représente plus de 120 000 personnes réparties à travers le Canada. Dans cette entrevue exclusive, Me Stéphane Lacoste nous parle de l’ABC et de ses objectifs, de la mise sur pied du Comité de liaison avec la Cour supérieure, d’accès à la Justice, de l’importance de l’innovation et de la technologie dans le domaine juridique, des relations syndicats-employeurs, de sa pratique du droit et de ses implications sociales. 

C’est avec plaisir que ce grand avocat dont le côté humain a fait ses preuves et à l’expérience bien établie a accordé cette longue entrevue exclusive à Jurizone où il prend le temps de parler en détails du passé, du présent et de l’avenir du milieu juridique. 

Jurizone: Me Lacoste, vous êtes le président de l’Association du Barreau canadien (ABC), Division du Québec. Parlez-nous un peu de la mission de cette organisation qui compte des milliers de juristes.

Me Stéphane Lacoste: Notre association occupe une place unique dans le paysage juridique parce qu’elle réunit tant les avocats(es), notaires, juges, étudiants(es) et professeurs(es) de droit. Elle a pour mission de :

  • défendre les intérêts de ses membres ;
  • faire valoir et de protéger la primauté du droit, notamment par des prises de position pertinentes ;
  • d’offrir une formation adéquate et avant-gardiste à ses membres ;
  • d’être à l’avant-garde des besoins de ses membres pour leur permettre d’évoluer dans leur pratique et ainsi contribuer à leur bien-être ;
  • de promouvoir l’équité et la diversité au sein des professions juridiques.

Jurizone: De quelle façon l’ABC défend-t-elle les intérêts de ses membres ?

Me Stéphane Lacoste: L’ABC agit de différentes façons selon les juridictions concernées. En matière fédérale, c’est l’ABC nationale qui est responsable de maintenir des contacts avec le gouvernement et les autres partenaires et de faire des représentations sur les changements législatifs et règlementaires. En matière provinciale ou territoriale, ce sont les diverses divisions qui ont ces responsabilités. L’approche et le choix des actions reposent donc sur les choix faits par les  dirigeants élus dans l’une ou l’autre des instances (telles les sections, les comités, les conseil d’administration). Elles dépendent donc de la démocratie. D’ailleurs, nos règles de gouvernance sont en train de changer au niveau national suite à des décisions prises dans le cadre du processus Repensons l’ABC et des démarches de révision sont en cours au sein de l’ABC-Québec. Ces changements visent notamment à impliquer plus directement nos membres et à les mettre au centre de notre action.

Concrètement, l’ABC-Québec défend l’intérêt de ses membres par divers contacts avec les autres associations de juristes (le Jeune Barreau de Montréal, le Jeune Barreau de Québec, l’Association des jeunes Barreaux de régions et l’Association des avocats et avocates de province sont représentés au sein du Comité exécutif de l’ABC-Québec), les tribunaux et les autorités gouvernementales et en prenant des positions publiques.

Jurizone: Quel est son rôle auprès du public ?

Me Stéphane Lacoste: Comme juristes, nous sommes tous au service du public. En défendant les intérêts des juristes, l’ABC-Québec défend en fin de compte les intérêts de l’ensemble des citoyens.

L’ABC-Québec a dans le passé pris position sur des questions d’intérêt public. Cet automne seulement, nous avons pris position publiquement sur quatre enjeux différents : l’horaire des tribunaux et le besoin pour le gouvernement du Québec d’investir de l’argent neuf dans le système judiciaire (nous avons justement appris ce vendredi (ndlr: 2 décembre 2016) que la ministre de la Justice fera prochainement une annonce importante sur cette question), l’admissibilité des enfants sans-papiers à l’école, la culture du viol dans les facultés de droit, et ce qu’il est convenu d’appeler l’affaire Lagacé. Tout ça en 3 mois seulement. Il ne s’agit pas pour l’ABC-Québec d’intervenir sur tout à tort et à travers, mais bien d’intervenir sur des enjeux réellement importants.

Jurizone: En tant que président de l’ABC-Québec, quels sont vos principaux objectifs ?

Me Stéphane Lacoste: Mon mandat à l’ABC-Québec est d’une durée de 12 mois seulement et il a débuté en août dernier. Le temps passe très vite. J’ai énoncé mes principaux objectifs dans un communiqué adressé aux membres de la Division en septembre dernier (http://www.abcqc.qc.ca/fr/A-propos-de-l-ABC-Quebec/Message-de-la-presidence). Trois mois plus tard, ces objectifs demeurent. J’ajouterais simplement que la question des relations avec les autres associations de juristes a pris une importance encore plus grande.

Je suis heureux de vous informer que le Comité de liaison avec la Cour supérieure est maintenant formé et tiendra sa première réunion en janvier prochain. Des rencontres seront ensuite organisées avec la Cour du Québec et la Cour d’appel tel que j’en ai convenu avec leurs juges en chef.

De façon immédiate, j’ai pour objectif de renverser la tendance des dernières années qui a vu le nombre de membres de l’ABC-Québec diminuer chaque année. Ce phénomène n’est pas unique à notre division ni à notre association. On le déplore dans plusieurs organisations. Je profite donc de toutes les occasions qui me sont données pour faire connaître le rôle et les actions de notre division et inviter les juristes à en devenir membres. L’ABC et l’ABC-Québec travaillent aussi à améliorer l’offre de services afin d’être au diapason des juristes.

Jurizone: Nous entendons de plus en plus parler d’accès à la justice, quels facteurs ou décisions pourraient rendre cet accès plus facile pour le public selon vous ?

Me Stéphane Lacoste: C’est une grande question qui fait l’objet de diverses opinions et il est impossible d’énumérer toutes les options ici. Dans l’immédiat, les gouvernements doivent investir dans l’administration de la justice pour ajouter des juges et de pourvoir immédiatement tout poste qui devient vacant. Il faut aussi de l’argent pour ajouter les ressources nécessaires au fonctionnement des tribunaux : bureaux, salles d’audience, personnel de soutien, ordinateurs, etc. On peut bien parler de la nécessité de changer les cultures, mais sans argent, nous n’arriverons pas à rendre la justice plus accessible.

Ces changements de culture concernent non seulement l’appareil judiciaire, mais les juristes eux-mêmes. Je pratique le droit depuis 1989 et j’ai constaté d’importants changements, notamment par l’importance maintenant accordée aux modes alternatifs de résolution des conflits. Tout est en changement constant et il faut s’adapter. Il faut que les avocats et les notaires offrent des façons différentes de pratiquer le droit et l’ABC travaille depuis longtemps sur ces questions et sur les modes alternatifs de facturation. Le développement de l’intelligence artificielle amènera aussi un plus grand accès à la justice et les juristes doivent être au fait de ce qui s’en vient et l’ABC y travaille.

Jurizone: Qui est le mieux placé pour trouver des solutions à cet égard ?

Me Stéphane Lacoste: L’ABC joue un rôle important. Les meilleures solutions ne peuvent venir que des personnes directement impliquées dans la justice, car ce sont elles qui vivent les problèmes. L’ABC appuie l’innovation et s’implique directement en informant et formant ses membres. Je crois qu’il faudra faire preuve d’imagination et de détermination. Je salue d’ailleurs la décision de la Cour du Québec de tenir certains procès de la Chambre criminelle dans les salles d’audience de la Chambre de la jeunesse. Je crois que l’ABC-Québec, étant en relation avec les autres divisions partout au Canada, est dans une position unique pour identifier des pistes de solution pour améliorer l’accès à la justice.

Jurizone: De quelle façon l’ABC agit-elle à ce niveau ?

Me Stéphane Lacoste: L’ABC a un comité national sur l’accès à la justice qui a publié quelques documents et normes https://www.cba.org/Sections/CBA-Access-to-Justice-Committee?lang=fr-ca notamment au sujet de l’aide juridique.

Autre exemple, en février dernier, l’ABC a publié un guide intitulé Pratiquer le droit autrement : l’avenir des jeunes juristes. En informant ainsi les jeunes juristes sur différentes façons de pratiquer, l’ABC contribue au développement de services qui offrent au public la possibilité d’accéder à la justice autrement.

Tout récemment, la Division du Québec a présenté une conférence de l’honorable Daniel W. Payette, J.C.S. intitulée « Les personnes qui agissent seules devant la cour : défis et devoirs des acteurs judiciaires » et le juge Payette a généreusement accepté que le texte de sa conférence soit rendu public. Cette conférence vise justement à faciliter l’accès à la justice tant pour les justiciables qui agissent seuls que pour leurs adversaires représentés par avocat.

Ce ne sont là que des exemples divers et récents des actions prises par l’ABC pour faciliter l’accès à la justice.

Jurizone: De plus en plus de personnes se représentent seules devant les tribunaux, pensez-vous que cela pourrait affecter considérablement la façon de pratiquer le droit des avocats et la façon dont le système judiciaire est géré avec le temps ?

Me Stéphane Lacoste: Bien entendu. C’est un phénomène qui ne peut que s’amplifier. C’est d’ailleurs pour cela que l’ABC-Québec a récemment présenté une conférence de l’honorable Daniel W. Payette, J.C.S. mentionnée à la réponse précédente et le juge Payette a généreusement accepté que le texte de sa conférence soit rendu public.

Jurizone: Vous êtes également membre de l’Institut canadien d’administration de la Justice. Pouvez-vous nous parler davantage du rôle de cette organisation ?

Me Stéphane Lacoste: L’Institut a pour mission de favoriser l’amélioration de l’administration de la justice. Elle a donc une mission plus restreinte que l’ABC. Elle agit surtout par la formation des juges partout au Canada, mais accueille aussi dans ses rangs des avocats. Cela permet des échanges intéressants entre les avocats et la magistrature.

Jurizone: Vous êtes aussi l’avocat général de Teamsters Canada, un syndicat national qui représente plus de 120 000 personnes réparties à travers le Canada. Comment voyez-vous le rôle des syndicats de nos jours ?

Me Stéphane Lacoste: Contrairement à ce qu’aiment bien laisser entendre les adversaires des syndicats, leur rôle est probablement plus important que jamais. De tout temps, les êtres humains ont compris qu’ils devaient se réunir pour améliorer leur sort. Le syndicalisme est donc profondément humain. C’est pour cela d’ailleurs que la Charte canadienne des droits de la personne reconnait la liberté d’association comme le font aussi divers instruments internationaux. Une société libre et démocratique ne peut exister sans liberté syndicale.

Historiquement, c’est le développement des syndicats qui a permis de construire la classe moyenne. Le recul du syndicalisme a entrainé un appauvrissement de la population en général. Nous avons tous avantage à ce que des syndicats forts soient présents partout dans notre économie.

L’arrivée de ce que plusieurs appellent une nouvelle révolution industrielle par le développement de l’intelligence artificielle et une automatisation de tâches jusqu’à maintenant effectuées par des humains ne fait qu’augmenter le besoin d’avoir des syndicats forts.

Jurizone: Quel est votre rôle en tant qu’avocat général pour cette organisation ?

Me Stéphane Lacoste: J’ai un rôle varié. Je conseille Teamsters Canada et ses affiliés en matière de négociations collectives et d’administration des conventions collectives. J’agis comme procureur dans plusieurs dossiers tant au Québec qu’ailleurs au Canada à l’occasion. Mais je conseille aussi Teamsters Canada sur toutes les questions d’ordre juridique qui se présentent, que ce soit en matière de diffamation, de droit à la vie privée, de droit de l’emploi (Teamsters Canada emploie des salariés), de baux, etc. Bien entendu, je m’occupe aussi de diverses questions concernant la constitution de notre syndicat et des divers règlements adoptés sous son autorité, des questions qui relèvent plus directement du droit des associations.

J’ai aussi un rôle plus près de celui de secrétaire corporatif et aussi comme conseiller politique du président de Teamsters Canada.

Jurizone: L’accessibilité aux technologies a bouleversé la société dans ses pratiques et du même fait le monde du travail a été aussi grandement affecté. La quantité d’information à traiter, la vitesse de la circulation de l’information, la gestion du temps et du stress, la vie privée et la conciliation travail-famille n’ayant plus la même définition qu’il y a cinquante ans pour plusieurs, à partir de vos observations et constatations, quels conseils donneriez-vous aux employeurs et aux employés d’aujourd’hui ?

Me Stéphane Lacoste: Et ça ne fait que commencer…

Je crois qu’il est important de s’assurer de se maintenir à jour pour ne pas se laisser dépasser. Il est assez simple de prendre quelques minutes chaque semaine pour lire des articles portant sur les nouvelles technologies et leur influence sur notre travail. Il faut aussi prendre soin de se garder du temps pour soi. Les nouvelles technologies amènent le travail dans notre chambre à coucher par le biais des téléphones cellulaires et des ordinateurs portatifs ou tablettes. Si on n’y prend pas garde, on peut se retrouver en épuisement professionnel. Les juristes ne sont pas à l’abri des problèmes de santé mentale et l’ABC, par son Forum mieux-être, aide ses membres à faire face à de tels problèmes. Ces problèmes ne concernent pas que les salariés, ils concernent aussi les employeurs. La prévention est l’affaire de tous.

Jurizone: Vous avez choisi le droit du travail depuis le début de votre carrière en 1990. Pourquoi ?

Me Stéphane Lacoste: En réalité, c’est un hasard. Je suis entré en droit pour devenir notaire, puis j’ai travaillé durant mes études au contentieux de ce qui était à l’époque la Société de transport de la Communauté urbaine de Montréal et je me suis rapidement rendu compte que j’étais fait pour le litige et la recherche de solution. J’y travaillais sur des dossiers de responsabilité civile, de contrat, d’accès à l’information. Après avoir travaillé deux étés à la STCUM je me suis trouvé un emploi à temps partiel (plutôt plein, en fait) pendant mes études à l’École du Barreau, au sein du cabinet (à l’époque Brodeur, Matteau, St-Laurent) et j’y ai découvert le droit du travail. Je suis « tombé en amour » avec ce droit.

J’ai continué dans ce domaine parce que le droit du travail touche les gens de très près et m’a donné l’occasion de réellement combattre l’injustice. C’est un droit très « humain ». Quand on fait obtenir un retrait préventif à une travailleuse enceinte ou quand on fait réintégrer un travailleur congédié injustement, on a un immense sentiment de fierté, car on sait qu’on aide vraiment les gens. Ma fille ainée est d’ailleurs avocate (Me Catherine Massé-Lacoste) et pratique aussi en droit du travail chez Rivest, Schmidt.

Jurizone: Au fil du temps, la société et ses enjeux ont beaucoup évolué. Selon votre expérience en matière de droit du travail, lesquels sont devenus les plus importants ?

Me Stéphane Lacoste: Quand on y pense, les choses ne changent pas tant que ça. Les gens ont besoin de bons emplois stables, de salaires et conditions de travail justes et sécuritaires, de retraites correctes. Ce qui change, c’est la façon de parvenir à cela. Les enjeux les plus importants aujourd’hui sont de résister à la guerre aux syndicats, de bien informer les employeurs et les travailleurs de leurs obligations et droit en matière de discrimination et d’accommodements raisonnables, il faut aussi planifier la transformation de notre économie vers une plus grande automatisation afin de s’assurer que tous  puissent toujours occuper un bon emploi.

Jurizone: Vous êtes impliqué en politique de façon très active depuis longtemps. Comment jugez-vous important l’implication citoyenne au sein des partis politiques ?

Me Stéphane Lacoste: Chaque citoyen a le devoir de s’informer des enjeux politiques et de voter à toutes les élections. Tous n’ont pas à s’impliquer activement au sein de partis politiques.

Je crois profondément qu’on doit tous chercher à s’impliquer dans la communauté et aider nos concitoyens, mais on peut le faire de diverses façons et dans la mesure de ses capacités. Certains seront entraineurs de hockey mineur, d’autres donneront des cours de macramés. D’autres encore aideront à l’accueil de réfugiés ou prépareront des repas pour les gens âgés. On peut trouver beaucoup d’exemples. L’action politique n’est qu’une façon d’agir dans sa communauté et d’aider le public.

Jurizone: Comment voyez-vous l’avenir du droit et du système de Justice ?

Me Stéphane Lacoste: Je le vois avec optimisme. Le droit est en constante évolution et depuis les débuts de l’humanité, il a changé pour s’adapter aux besoins des populations. J’ai confiance en notre constitution et en nos tribunaux pour assurer un avenir meilleur.

Tant qu’il y aura des gens pour veiller au grain, les choses évolueront généralement pour le mieux.

Je crois que nos tribunaux s’adapteront aux nouvelles technologies et offriront aux justiciables plus de moyens d’accéder à la justice. Je pense que les acteurs du monde juridique sauront s’adapter pour que l’on puisse obtenir justice plus rapidement et à moindre coût.

Jurizone: Y a-t-il d’autres précisions ou sujets sur lesquels vous souhaitez attirer l’attention ?

Me Stéphane Lacoste: Les avocats et notaires doivent rester à l’affut des changements et faire preuve d’innovation. On ne peut plus pratiquer le droit aujourd’hui comme on le faisait au XIXe siècle. Ceux qui ne suivent pas seront laissés derrière. L’ABC s’implique activement en innovation et offre des services indispensables à ses membres. J’invite tous les juristes à devenir membre de l’ABC et participer à ses activités en visitant le www.abcqc.qc.ca.

(c) Jurizone, 2016

 

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