De O.J. Simpson à Aaron Hernandez ; peut-on tenir la NFL responsable pour la mauvaise conduite de ses joueurs?

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Par Me Marianne Saroli, avocate.

Sans aucun doute, le football professionnel est le sport le plus populaire, mais aussi le plus rentable en Amérique du Nord. Or, le football professionnel est également le sport qui recense le plus grand nombre d’arrestations chez ses athlètes.  La liste des accusations portées contre eux est lourde et fastidieuse, notamment, mais non exclusivement : violence conjugale, voies de fait, agressions, possession d’armes à feux, conduite avec facultés affaiblies, drogues, abus aux animaux et meurtres.

L’affaire la plus célèbre impliquant un joueur de la NFL demeure sans contredit celle de O.J. Simpson en 1995 pour le meurtre de Nicole Simpson et Ron Goldman[i]. En 1999, Rae Carruth des Jacskonville Jaguars et Ray Lewis des Baltimore Ravens ont tous deux été accusés de meurtre au premier degré  et de double homicide[ii]. Dans la même année, Eugene Robinson des Atlanta Falcons a été arrêté pour la sollicitation d’une prostituée[iii]. En 2007, Michael Vick des Atlanta Falcons a purgé 23 mois d’emprisonnement après avoir tué des chiens par noyade et par pendaison[iv]. Sans oublier qu’au cours de la dernière année, 29 joueurs ont été arrêtés depuis le Super Bowl XLVII[v]. Bien entendu, ce ne sont là que quelques exemples parmi tant d’autres.

Plus récemment, c’est le joueur des New England Patriots, Aaron Hernandez, qui a été arrêté pour meurtre au premier degré et pour 5 autres chefs d’accusation relativement à la possession d’armes à feu en lien avec la mort d’Odin Lloyd. Ce dernier a toutefois plaidé non-coupable à tous les chefs d’accusation portés contre lui. Coupable ou non, de tels comportements embarrassent la NFL et entachent sa réputation. Mais la NFL doit-elle être tenue responsable pour les faits et gestes de ses athlètes ?  Il appert que la NFL se limite souvent à présenter ses regrets lors de conférences de presse et a insisté que ces comportements répréhensibles ne seront plus tolérés dans le futur[vi]. Or, l’attitude de la NFL est discutable en ce qu’elle se permet de faire des déclarations publiques qui reprochent la mauvaise conduite de ses joueurs, mais à l’inverse continue à repêcher des joueurs ayant un passé criminel. Insensé, légitime ou simplement lucratif, là est la question.

La conduite violente et les arrestations chez les joueurs de football constituent une importante problématique non seulement pour la NFL même, mais aussi pour les équipes. C’est pourquoi il importe de se questionner sur l’éligibilité des athlètes au moment de leur repêchage. Formellement, la NFL procède à un dépistage pré-emploi de ses athlètes et leur exige de se soumettre à des vérifications d’antécédents, mais qu’arrive-t-il quand un athlète a un dossier criminel ou dénote un passé violent ? Interdire aux athlètes ayant un passé criminel de jouer dans la NFL implique un autre débat en ce qu’une telle interdiction serait discriminatoire et contraire au principe de promotion de la réintégration sociale chez ce type d’individus[vii]. Ceci étant dit, les équipes de la NFL sont constamment confrontées à un dilemme quand il en vient à signer un joueur ayant un passé douteux. Le talent du joueur prévaut généralement sur ses antécédents en ce qu’un produit rentable et effectif sur le terrain est certes attrayant pour une équipe et ce, nonobstant la mauvaise conduite qu’il a pu avoir dans son passé. Mais le passé n’est-il pas garant de l’avenir ? Le football étant un sport pour le moins violent, la combativité d’un joueur peut être instinctivement une valeur ajoutée à l’équipe[viii]. Le régime de responsabilité civile indique qu’un employeur est responsable des actes de son employé lorsqu’ils sont posés dans le cadre de ses fonctions de travail[ix]. Dans la mesure où les actes sont posés en dehors du terrain de football, en quoi la NFL peut-elle être tenue responsable? Dans une telle optique, la NFL ne peut engager sa responsabilité si l’un de ses joueurs a posé un acte à l’extérieur de ses fonctions de travail ou dans un but purement personnel. Hernandez n’agissait nettement pas dans le cadre de ses fonctions de travail lorsqu’il a présumément tué Lloyd. Ce prétendu évènement s’est produit tard le soir, hors saison et Hernandez n’était ni en direction vers le travail, ni sur le chemin du retour de son travail[x].

Or, quand une équipe décide délibérément d’embaucher un joueur à risque, la NFL doit-elle en assumer une part de responsabilité? La preuve révèle que Hernandez a eu de nombreux démêlés avec la justice dans le passé, lesquels étaient connus des recruteurs lors du repêchage de 2010. Repêcher un athlète avec des indicateurs de criminalité aussi proéminents vient avec son lot de conséquences. Tant l’équipe que la ligue ne sont pas à l’abri de poursuites pour une embauche négligente[xi]. Ceci étant, il est nécessaire de démontrer que l’employeur connaissait ou aurait dû connaître de manière raisonnable que l’employé représentait un danger. Ce fait doit néanmoins être connu préalablement à l’embauche et l’existence de cette connaissance peut être difficile à prouver. L’ignorance de la NFL n’est certes pas une excuse valable en ce que la ligue dépense des millions de dollars en dépistage pré-emploi et en administration de tests physiques et psychologiques chez ses candidats[xii]. Or, l’éligibilité des athlètes n’est pas du seul et unique ressort de la NFL. En effet, la convention collective qui unit la NFL et la NFLPA ne prévoit pas de restrictions claires quant à l’éligibilité de ses joueurs ayant un passé criminel[xiii]. Il apparaît donc essentiel que la convention soit amendée pour y ajouter ce type de clauses restrictives. Potentiellement, la famille de Lloyd pourrait invoquer une négligence dans la surveillance d’Hernandez en ce que sa condition violente était supposément connue et que tant la NFL que les Patriots auraient dû prendre des mesures nécessaires pour le maîtriser.

Le problème est que la ligne est mince entre l’agression et la performance en raison de la nature même du football professionnel et ce, parce que les agressions illégales hors terrain sont bien souvent tolérées sur le terrain[xiv]. L’équipe a cependant une obligation de diligence à respecter si l’un de ses joueurs commet intentionnellement une agression lors de l’exercice de ses fonctions auprès d’un coéquipier, d’un adversaire ou d’un arbitre[xv].

Au-delà des sanctions disciplinaires ou criminelles, nous ne pouvons ignorer que par sa mauvaise conduite, l’athlète incite à la violence et à la criminalité. Un athlète du calibre d’Hernandez devrait assumer une responsabilité morale à l’endroit du public simplement parce qu’il devrait servir non seulement de référence, mais aussi de modèle. De ce fait, la bonne conduite est de mise tant sur le terrain qu’à l’extérieur de celui-ci. La NFL se doit d’être plus proactive quant à l’éducation de ses joueurs, car à ce titre, elle doit prendre une part de responsabilité. Au cours des dernières années, la NFL a édicté un code de bonne conduite, lequel réprimande toute mauvaise conduite par une amende, une suspension sans solde ou une radiation[xvi]. Ce code est relativement complet, mais de toute évidence insuffisant pour dissuader les athlètes à se tenir loin des ennuis judiciaires.

Certes, la criminalité au sein des joueurs de la NFL est une problématique de taille considérant la fréquence des accusations portées contre eux. La NFL n’ignore pas cette problématique, mais la présence de brutalité au football est sans égale à aucune autre ligue professionnelle. La nature du jeu fait en sorte que la NFL recherche plus souvent qu’autrement des guerriers et ce faisant, la NFL prend un risque. Pour ces motifs, la NFL devra apporter un meilleur rempart et des solutions plus efficaces pour prévenir la criminalité chez ses joueurs et ce, afin de préserver l’intégrité de son sport.



[i] USA TODAY, Legacy of O.J. Simpson trial debated ten years later, 2004 en ligne: http://usatoday30.usatoday.com/news/nation/2004-06-10-oj-simpson_x.htm

[ii] Joel Michael UGOLINI, “Even a violent game has its limits: A look at the NFL’s responsibility for the behavior of its players”, 2007-2008 39 U. Tol. L., 41

[iii] Id.

[iv] Id.

[v] Michael Mccann, Sports Illustrated, Hernandez, Pats, NFL could face civil suits in wake of Lloyd’s Murder, 2013, en ligne : http://sportsillustrated.cnn.com/nfl/news/20130708/aaron-hernandez-murder-liability/index.html

[vi] Joel Michael Ugolini,  loc. cit. note ii) 42

[vii] Id.48

[viii] Id.

[ix] Id. 46

[x] Michael Mccann, loc. cit. note v)

[xi] Joel Michael Ugolini,  loc. cit. note ii) 47

[xii] Id. 48

[xiii] Michael Mccann, loc. cit. note v)

[xiv] Joel Michael Ugolini,  loc. cit. note ii) 48

[xv] Id.

[xvi] Bethany P. WITHERS, “The integrity of the game : Professional athletes and domestic violence”, 2010, Journal of Sports & Entertainment Law – Harvard Law School, 174

Tous droits réservés (c) Marianne Saroli, 2013

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