Jurizone a eu la chance de rencontrer l’honorable Pierre Pettigrew, ministre des Affaires étrangères du Canada. Représentant de la diplomatie canadienne, il est au courant de tous les grands dossiers internationaux. C’est avec plaisir qu’il a accepté de répondre à nos questions pour nous expliquer ses fonctions et sa vision du Canada dans le monde
(Entrevue datant de 2005-01-01)
Jurizone : Quelle est la tâche que vous aimez le plus de votre poste de ministre des affaires étrangères?
M. Pettigrew : Ce qui me passionne par-dessus tout, c’est d’avoir l’occasion de rencontrer les leaders et les acteurs des affaires internationales et de leur parler du Canada. Nous bénéficions de conditions de vie idéales, nous avons un projet politique unique et nous sommes fiers des valeurs que nous véhiculons. C’est souvent cet aspect qui ouvre la porte à une collaboration accrue et à une confiance acquise lorsque nous avons des nouvelles idées et des projets innovateurs à proposer.
Jurizone : Quelle a été l’épreuve la plus difficile à traverser depuis votre accession à votre poste actuel ?
M. Pettigrew : L’épreuve la plus courante : les pressions sur la vie personnelle. Tous les politiciens vous le diront, la vie publique et la politique amènent une forte pression sur tous les aspects de la vie personnelle et il est primordial de trouver un équilibre.
Jurizone : Comment voyez-vous le Canada dans le monde dans 10 ans ?
M. Pettigrew : J’entrevois le Canada comme un acteur important à tous les niveaux. Le Canada est un projet politique unique. Nous avons créé un modèle qui nous convient et qui étonne partout dans le monde. Nous avons bâti un pays sur des assises et des valeurs que d’autres croyaient impossibles. J’espère un jour que le Canada puisse est être un leader du développement durable et de l’émergence d’une nouvelle conscience globale.
Jurizone : Vous avez récemment fait mention comme quoi la position du Canada par rapport aux enjeux internationaux prendra une nouvelle tournure historique. Pouvez-vous nous expliquer cette nouvelle position ?
M. Pettigrew : Ces dernières années, nous avons analysé et revu la politique étrangère canadienne. Je compte, d’ici peu, rendre publique l’énoncé de la politique étrangère canadienne, qui fera état des nouveaux enjeux, de notre identité évolutive et de la place que le Canada pourra prendre sur la scène internationale à plusieurs niveaux. Nous avons, par exemple, l’intention d’être le premier pays à adopter une approche intégrée aux affaires internationales : défense, diplomatie, commerce et développement.
Jurizone : Vous avez déjà occupé le poste de ministre du Commerce international et maintenant des Affaires étrangères, considérez-vous que le Canada est trop dépendant des États-Unis au niveau de son économie ? Et, que compte faire le Canada pour se démarquer à ce niveau-là ?
M. Pettigrew : Le Canada continue de travailler avec ardeur pour approfondir ses relations commerciales avec les États-Unis, mais il poursuit également activement la recherche d’occasions d’affaires et d’investissement partout à travers le monde. Les initiatives entreprises en 2004 comprennent, notamment :
Mexique: Un partenariat entre le Canada et le Mexique a été établi qui vise à : générer des occasions d’affaires pour les petites et moyennes entreprises, accroître les flux d’échanges et d’investissements, promouvoir les relations entre groupements culturels, de recherche et du monde universitaire, et accroître, dans le contexte nord-américain, la compétitivité à l’échelle mondiale des économies de nos deux pays.
Principaux marchés développés Le premier ministre et les dirigeants européens se sont entendus en mars sur un cadre pour un accord visant à renforcer le commerce et l’investissement entre le Canada et l’Union européenne, afin de resserrer et d’élargir le partenariat et ce, en complément des efforts de l’OMC pour assurer l’accès aux marchés. Nous avons entamé avec le Japon des entretiens bilatéraux sur la structure d’un nouveau cadre en vue de l’amélioration des relations économiques.
Partenaires économiques émergents Le ministre Peterson élabore en ce moment une nouvelle stratégie afin que les entreprises canadiennes soient bien placées pour profiter des débouchés qu’offrent des puissances économiques émergentes comme la Chine, l’Inde et le Brésil.
Le ministre a mené des consultations, dont les récentes tables rondes, avec les provinces et les territoires, des associations, les milieux d’affaires, des universitaires, la société civile et autres intéressés et continue de les consulter.
Afin d’élargir nos choix, nous prenons d’ores et déjà des mesures dont l’annonce récente de pourparlers préliminaires sur un éventuel accord de libre-échange avec la Corée et la reprise des négociations sur la protection des investissements avec la Chine et l’Inde.
Le ministre du Commerce international, M. Jim Peterson, dirige en ce moment une mission commerciale en Chine. Il a piloté en 2004 une mission commerciale réussie au Brésil, dans le cadre de ses efforts pour resserrer les relations commerciales avec les pays du Mercosur. Par ailleurs, il a annoncé l’organisation d’une mission commerciale en Inde au cours de 2005.
L’ex-ministre d’État (marchés nouveaux et émergents), M. Gar Knutson, a dirigé en 2004 une mission commerciale en Amérique centrale et a fait des visites de prospection en Inde, en Chine et au Brésil.
Jurizone : Vous êtes le ministre en charge des enjeux internationaux. Pensez-vous que le Canada devrait participer au bouclier anti-missile dans le but d’assurer la sécurité du pays dans le futur?
M. Pettigrew : Une coopération potentielle avec les États-Unis sur le bouclier antimissile est toujours sous considération.
De ma perspective, il faut tenir compte de l’existence de deux moyens de faire face aux menaces qui pèsent sur notre sécurité, quelles que soient leurs sources.
Le premier est la prévention et le second, la protection.
Pour contrer les menaces que présentent les missiles, notre première ligne d’action a consisté à tenter de les réduire ou de les éliminer grâce à des mesures de non prolifération, de contrôle des armements et de désarmement. C’est là notre priorité.
Mais face à la poursuite de la prolifération, un second moyen, complémentaire, consiste à la protection des populations et des territoires par des actions défensives.
Compte tenu de la responsabilité et du souhait du gouvernement d’envisager toutes les possibilités qui pourraient accroître la sécurité des Canadiennes et des Canadiens, le Canada discute de défense antimissile avec les États-Unis depuis mai 2003. À ce jour, aucune décision n’a été prise. Comme le Premier ministre l’a indiqué, le Canada exigerait, avant d’amorcer une éventuelle coopération, l’assurance que la défense antimissile ne prévoit pas l’arsenalisation de l’espace et des garanties convenables quant à l’apport et à l’influence que le Canada aurait vis-à-vis du programme. Il a par ailleurs été convenu que la question de la participation du Canada à la défense antimissile fera l’objet d’un débat et d’un vote au Parlement.
Jurizone : Pourriez-vous nous décrire le projet NORAD que le gouvernement a tant à coeur, la position du Canada à ce sujet et l’ampleur de la collaboration que le pays compte offrir?
M. Pettigrew : Depuis 1958, le NORAD est la pierre angulaire de la coopération entre le Canada et les États-Unis en matière d’alerte et de réponse aux menaces contre l’espace aérien nord-américain.
Les attentats du 11 septembre ont renforcé l’importance vitale d’avoir une capacité de défense binationale pour surveiller les diverses menaces qui pourraient peser sur le continent. L’importance du NORAD a été démontrée le 11 septembre 2001, lorsqu’il a pu rétablir en quelques heures le contrôle sur l’espace aérien de l’Amérique du Nord. Il convient certainement de souligner que c’est un général canadien qui était en charge du centre ce jour là.
Le NORAD a augmenté ses actifs. Il a notamment mis à jour ses systèmes ainsi que sa technologie et accru le nombre de missions de combat aérien (par ex., 32 000 sorties en deux ans après les attentats du 11 septembre). Le NORAD a mis au point bon nombre de nouvelles procédures (notamment en cas de détournement d’avion), a redéfini les règles d’engagement et la formation. De nombreux exercices ont été entrepris pour valider ces nouvelles procédures.
L’actuel Accord sur le NORAD expirera en mai 2006. À la lumière du nouvel environnement de sécurité découlant des attaques de septembre 2001, le Canada et les États-Unis examinent comment ils pourraient intensifier encore leur coopération au titre de la défense pour accroître la sécurité de leurs citoyens respectifs.
Par exemple, le Canada et les États-Unis ont déterminé que la sécurité maritime était un secteur où un resserrement de la coopération entre les deux pays s’avérerait important. Cela pourrait entraîner notamment une surveillance maritime, des alertes et un partage de l’information accrus entre nos deux pays.
Quand viendra le temps de renouveler le NORAD, le gouvernement verra s’il est possible d’en élargir le rôle pour faciliter une telle coopération entre les deux pays à l’égard des nouveaux défis qui se posent à la sécurité
L’engagement du Canada envers le NORAD reste solide. Il est toutefois trop tôt pour dire exactement de quelle façon l’Accord du NORAD pourrait être révisé.
Jurizone : À votre avis, faut-il favoriser la liberté des gens ou leur sécurité sur le plan de la législation?
M. Pettigrew : Je ne crois pas qu’il soit approprié de hiérarchiser ces deux intérêts, c’est-à-dire d’en favoriser un au détriment de l’autre. Les deux sont essentiels à la protection des droits des individus. Les diverses dispositions des lois représentent habituellement des réponses particulières à des problèmes particuliers, mais le gouvernement s’intéresse avant tout à protéger le mieux possible les droits des Canadiens.
Jurizone : Dans le conflit israélo-palestinien, le Canada a récemment voté contre une résolution de l’ONU alors que la forte majorité des pays ont voté pour. On sait que le Canada, connu pour son pacifisme, tentait de rester le plus neutre possible dans ce sujet par le passé. Est-ce qu’il faut considérer par là une nouvelle position canadienne proche des États-unis dans ce dossier? Quelle est la position officielle du Canada et que compte faire le gouvernement pour tenter de régler ce conflit afin de permettre à ces deux peuples de vivre également, dans la paix et la justice?
M. Pettigrew : La politique du Canada en ce qui à trait au conflit Israélo-arabe est demeurée la même au cours des cinq dernières décennies: nous appuyons une solution pacifique, juste envers toutes les parties, qui seule peut être atteinte par des accords négociés, entre Israéliens et Palestiniens d’une part et entre Israéliens et Syriens d’autre part.
Les positions du Canada sur les questions centrales du conflit, qui doivent faire l’objet d’une entente négociée, tels que les frontières entre l’état d’Israël et un état palestinien, le statut de Jérusalem et les solutions pratiques de mise en oeuvre d’un exercice du droit de retour par les réfugiés, ont été réaffirmées par mon gouvernement, à travers nos communiqués de presse, nos déclaration publiques, y compris à l’Assemblée générale de l’ONU, dans nos discussions avec les pays de la région et dans un éditorial publié dans le National Post en décembre, dans lequel je réaffirmais nos positions.
Ces positions sont fermement ancrées dans notre appui à des instruments clés du droit international, tel que les résolutions du Conseil de Sécurité des Nations Unies et les conventions du droit humanitaire international, incluant la Quatrième Convention de Genève. Nous appuyons la Feuille de route du Quatuor et encourageons un retrait Israélien de Gaza, et de Cisjordanie, en coordination avec l’Autorité palestinienne. Nous sommes confiants que les récentes élections palestiniennes préfigurent l’aube d’un renouveau marqué par des relations plus constructives entre les parties, et de gestes positifs de part et d’autre en vue de mettre en oeuvre les responsabilités respectives identifiées dans la Feuille de route.
Le premier ministre a très bien saisi l’opportunité qui se présente pour le Canada de s’engager plus activement et d’appuyer les efforts de réformes des Palestiniens dans les secteurs de la gouvernance et de la sécurité. Nous voulons aider l’Autorité palestinienne à rebâtir et renforcer les institutions gouvernementales qui assureront l’édification d’un état souverain démocratique, dont la création est appuyée par l’ensemble de la communauté internationale. Nous continuons aussi à inciter Israël à assurer sa sécurité et à remplir ses engagements en conformité au droit international.
Vous avez soulevé la question du vote du Canada à l’ONU. L’approche du Canada à l’ONU demeure la même: nous jugeons chaque résolution selon ses mérites, en fonction de nos principes politiques et en tenant compte de la situation dans la région. Cette année nous avons essayé d’engager les autres délégations dans un processus visant à rediriger les nombreuses résolutions reliées au conflit vers des fins plus productives.
La résolution à laquelle vous vous référez porte sur les pratiques israéliennes dans les territoires occupés, le Canada a retiré son appui cette année à cause d’un nouveau paragraphe qui mentionne les attaques suicides sans les condamner. Nous nous retrouvons donc avec une résolution qui condamne tous les actes de violences et le terrorisme en général sauf lorsque les civils israéliens en sont la cible. Ceci n’est pas acceptable pour le Canada. Nous avons indiqué à la délégation palestinienne que si à l’avenir la résolution condamne les attaques suicides nous n’aurions pas d’objection à l’appuyer de nouveau.
En reconnaissance du caractère exceptionnel des premières élections irakiennes après des décennies de dictature, nous avons aussi autorisé la tenue de bureaux de vote sur le territoire canadien pour permettre aux membres de la communauté irakienne du Canada de prendre part à ce scrutin historique.
Jurizone : On sait qu’un régime démocratique doit commencer par avoir un système judiciaire solide et impartial. Comptez-vous agir sur ce point?
M. Pettigrew : Un système judiciaire indépendant et transparent est un des grands fondements sur lequel repose toute démocratie. Cela est particulièrement vrai pour l’Iraq, qui sort de plusieurs décennies de dictature.
Le Canada appuie tous les efforts que les Iraquiens et la communauté internationale déploient pour rebâtir l’appareil et les structures judiciaires du pays. Comme vous le savez, le Canada a acquis une précieuse expérience et s’est taillé une solide réputation internationale par son travail dans le domaine du renforcement des capacités juridiques. D’ailleurs, des experts canadiens ont fait partie de la mission internationale qui s’est rendue en Iraq à l’été 2003 pour évaluer le secteur juridique de ce pays.
Nous espérons avoir l’occasion de mettre à contribution nos connaissances dans ce domaine essentiel, que ce soit par le biais de l’Institut national de la magistrature, de l’Association du barreau canadien ou des facultés de droit des différentes universités canadiennes, si les Iraquiens ou les Nations Unies nous le demandent.
Jurizone : Pouvez-vous nous renseigner sur les politiques futurs du Canada dans le développement durable et en environnement, vu que le Canada a ratifié le plan de Kyoto? Comptez-vous prendre des mesures encourageantes tel que le remboursement de la taxe sur les véhicules électriques, etc.
M. Pettigrew : Le gouvernement a annoncé en 2003 un investissement de 215 millions de dollars pour une période de cinq ans pour l’adoption, l’amélioration des infrastructures nécessaires et la mise au point des piles à hydrogène.
“Le monde a besoin de nous, de notre expertise juridique en ce domaine. Cela présente des opportunités inouïes pour les avocats et les étudiants en droit au Québec et au Canada. “
Le gouvernement a aussi fait la promotion d’une plus grande efficacité énergétique dans le secteur des transports et favorisé le développement d’autres combustibles de substitution (par ex., 100 millions de dollars ont été alloués pour le biocarburant éthanol). Depuis 2002, le gouvernement du Canada a oeuvré de pair avec les fabricants d’automobiles pour améliorer de 25% l’efficacité des carburants pour les véhicules légers (automobiles et camions) grâce aux technologies disponibles, tout en offrant un plus grand choix aux consommateurs.
Sur la scène internationale, le Canada a signé en 2003 le Partenariat international pour une économie fondée sur l’hydrogène. Ce Partenariat, à l’initiative des États-Unis, vise à définir des normes de fabrication et des politiques, tout en apportant de l’assistance technique en vue de promouvoir l’utilisation de l’hydrogène, notamment en vue de mettre en marché et de commercialiser des piles à combustible tout en développant les infrastructures nécessaires.
Jurizone : Que conseillerez-vous à des personnes qui veulent travailler dans un domaine à l’échelle internationale?
M. Pettigrew : Je conseillerais à ces personnes de chercher avec enthousiasme à satisfaire ces intérêts. Des possibilités innombrables s’offrent aux Canadiens qui veulent contribuer au bien-être de la planète, notamment dans des milieux auxquels on ne songe pas toujours, par exemple au sein d’organisations internationales, d’ONG, d’établissements universitaires et d’entreprises privées. Et bien sûr, en ma qualité de ministre des Affaires étrangères, j’espère que les personnes démontrant ce genre d’intérêt prendraient le temps d’envisager un avenir au sein de mon ministère.
Jurizone : Quel message transmettriez-vous aux avocats et aux étudiants en droit au Québec, au point de vue des droits et libertés de la personne?
M. Pettigrew : D’abord, il faut reconnaître que la protection des droits et libertés de la personne est un des plus importants projets, et un des plus grands succès, de notre système juridique au Canada. On pourrait même aller jusqu’à dire que c’est la principale raison d’être de ce système juridique. Et puisque les juristes sont les auteurs, mais aussi les gardiens, de ce système, ils et elles ont donc le devoir de veiller sans cesse à ce que le système continue à assurer la protection des droits et libertés de la personne.
Ce qu’ils font, faut-il ajouter, admirablement, au Québec comme ailleurs au Canada. C’est sans doute pourquoi l’expertise canadienne dans ce domaine a beaucoup contribué, et continue à contribuer, à l’élaboration d’un véritable système pour la protection des droits et libertés de la personne à l’échelle internationale. Faut-il rappeler que le principal auteur de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme fut un professeur de droit québécois, le professeur John Humphrey de l’Université McGill? Et en ces temps difficiles, où nous devons tous confronter la question à savoir comment protéger nos sociétés contre des forces sinistres tout en restant fidèle aux droits de la personne, cette expertise canadienne dans le domaine des droits et libertés de la personne est de plus en plus recherchée. Il y a là de quoi être fier. Et les possibilités pour faire une différence à l’échelle mondiale se multiplient. Le monde a besoin de nous, de notre expertise juridique en ce domaine. Cela présente des opportunités inouïes pour les avocats et les étudiants en droit au Québec et au Canada. Je leur conseille de les saisir!