Entrevue avec Me Carole Grenier, conseillère principale du ministre canadien de l’Environnement.

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La politique attire souvent de nombreux avocats. N’est-ce pas là que la législation voit le jour ? À quelques semaines de la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques à Copenhague, Jurizone s’entretient avec la conseillère principale en politiques auprès du ministre canadien de l’environnement. Ayant agit comme conseillère auprès du ministre de la Justice et Procureur Général du Canada l’an dernier, elle a aussi été assistante pour le Québec. Avant de faire le saut en politique fédérale, elle était attachée au bureau du Ministre des Ressources naturelles et de la faune. En 2007, elle a hérité du dossier de la réforme cadastrale du Registre foncier du Québec. Sa feuille de route est longue, elle a également agit au cours des années comme attachée politique du ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs, du ministre du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation, du ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport où elle a eu la responsabilité du dossier de la Charte de la langue française dont l’un des aspects est l’accès à l’enseignement en anglais, ainsi que du ministre de l’Emploi, de la Solidarité sociale et de la Famille. Elle est avocate de formation. C’est avec plaisir que Me Carole Grenier a accepté de parler de son parcours avec Jurizone.

Jurizone  : Maître Carole Grenier, tout d’abord parlez-nous de vous. Pourquoi aviez-vous choisi la profession d’avocate ?

Me Grenier : J’ai opté naturellement pour le droit et d’aussi loin que je me souvienne, j’ai été influencée par mon père, avocat,  qui était de bon conseil. J’ai donc voulu devenir avocate en sachant que mes valeurs et intérêts serviraient à quelque chose.

Jurizone : Vous êtes actuellement Conseillère principale en politiques pour le ministre canadien de l’Environnement. En quoi consistent vos fonctions ?

Me Grenier : Actuellement, je me consacre principalement à un dossier, celui des changements climatiques.  Vaste sujet qui ne laisse personne indifférent et qui a un impact sur l’avenir de notre planète, sur notre économie, la santé des gens, c’est l’efficacité énergétique, la protection de l’eau et des espèces menacées, un marché du carbone, des règlements et une loi à rédiger.  Il y a du pain sur la planche !

C’est une période tellement effervescente qui nous mènera en décembre prochain à la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques à Copenhague. Il faut assurer la relève au Protocole de Kyoto qui prendra fin en 2012. Et en préparation à cette Conférence internationale, j’ai accompagné le Ministre Prentice dans une tournée du Canada, où nous avons rencontré les Premiers ministres des provinces et des territoires. Cela a été formidable de pouvoir bien situer les enjeux provinciaux qui diffèrent sur certains aspects, notamment quant aux ressources naturelles. Le Canada  me fait penser à une grande famille composée de plusieurs enfants, tous différents mais avec leurs potentiels distincts.

Jurizone : L’an dernier, vous étiez conseillère au cabinet du ministre de la Justice du Canada (Procureur général du Canada) et assistante pour le Québec. Quel rôle joue l’avocat au sein du cabinet d’un ministre ?

Me Grenier: Dans un cabinet de ministre, certains conseillers ont une touche très politique et les avocats, auront un ascendant différent par leurs suggestions et leur éclairage qui nous distingue. On aime bien faire passer nos idées et être bien compris.

Jurizone: Qu’en est-il de vos responsabilités pour le Québec ?

Me Grenier:  Ayant travaillé plus de quatre ans en cabinet politique pour le Gouvernement du Québec, j’étais un atout dans l’équipe du Ministre fédéral de la Justice puisque je connaissais bien la réalité et les enjeux québécois et pouvais appeler facilement mes anciens collègues. Cela a facilité la compréhension et la résolution de certains dossiers. Il faut savoir entretenir ses bons liens et assurer une collaboration fédérale-provinciale. De là mon titre de conseillère pour le Québec.

Jurizone : Donc, avant de faire le saut en politique fédérale, vous avez travaillé de nombreuses années pour le Gouvernement du Québec. Lorsque vous étiez attachée au bureau du Ministre des Ressources naturelles et de la faune, vous avez guidé le Registre foncier du Québec dans sa réforme cadastrale. Ça doit être une tâche assez chargée.

Me Grenier : La Réforme cadastrale a commencé dans les années 1990 et elle était incontournable car notre système manquait tellement de précision. Lorsque j’ai hérité de ce dossier en 2007, elle progressait bien.  C’est un vaste chantier inconnu du public en général. Le Québec est divisé en  millions de lots réformés et cela nous touche notamment quand vient le temps d’officialiser une transaction immobilière.  Bref,  l’informatisation des travaux assure entre autres l’intégrité des données cadastrales et leur accessibilité à la population.

Jurizone : À travers les années de votre implication politique provinciale, vous aviez également été attachée politique au bureau du ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs, au bureau du ministre du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation, au bureau du ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport ainsi qu’au bureau du ministre de l’Emploi, de la Solidarité sociale et de la Famille et donc, vous avez pu toucher à une série de domaines aussi différents les uns que les autres, quel rapprochement y faites-vous avec le monde juridique ou disons, comment le droit vous a apporté un plus dans le cadre de chacune des fonctions ?

Me Grenier : J’aimerais préciser que j’ai eu la chance de travailler avec le même ministre pendant quatre ans. Je l’ai suivi au gré des remaniements et d’une élection. Pour bien réussir dans le monde juridique il faut bien connaître son dossier et être prêt à le défendre. Il faut s’y consacrer totalement. C’est exactement  la même affaire dans le milieu politique. Il faut connaître nos dossiers et faire vite car on devient un conseiller expert momentané et le ministre compte sur nous pour saisir des détails ou nuances qui l’aideront à orienter ses décisions. Et quand il nous pose une question dans le feu de l’action, il faut lui répondre sur le champ. La recette est simple: bien s’organiser et avoir ses papiers en mains ou pas trop loin !

Jurizone : Vous parlez de suivre le ministre au gré des remaniements, sachant que tout membre du personnel d’un bureau de ministre doit gagner la confiance de ce dernier ou cette dernière et faire preuve d’une capacité d’adaptation élevée et de compétences propres au milieu, selon vous, quelles sont les qualités qu’une personne devrait avoir dans ce genre de milieu publique pour gagner la confiance d’autant d’employeurs ?

Me Grenier: La règle première est que nous avons ce job grâce à une femme ou un homme qui a été élu et en qui le Premier ministre a mis sa confiance. Il faut l’entourer le mieux possible car il a beaucoup de pression et doit pouvoir compter sur nous. Il faut lui démontrer notre capacité à gérer notre stress et, un ministre ça peut impressionner aussi. Flexibilité, loyauté, un bon jugement et de la rigueur sont des qualités essentielles pour gagner sa confiance.

Jurizone : Dans un autre ordre d’idées, de tous ces domaines auxquels vous avez touché, lesquels vous ont particulièrement plu ?

Me Grenier : Tous m’ont plu à leur façon car c’était une période de temps où je découvrais une autre portion de la société.  Ce qui me plaît de ce job est l’ouverture sur des sujets qui m’étaient inconnus ou avaient peu soulevé mon attention. On perçoit aussi d’un autre angle l’organisation de la société avec ces groupes et associations de toutes sortes qui veulent nous connaître et rencontrer le ministre. Je ne peux passer sous silence mon quotidien, où je côtoie des sous-ministres et leurs équipes, ce qui inclus les avocats, bien-sûr.  Des gens compétents, patients et dévoués avec qui on apprend énormément, ils sont les serviteurs de l’État. Ils contribuent grandement à développer nos compétences !

Jurizone : Vous avez été proche de plusieurs ministres. Sachant la responsabilité qui incombe à ces derniers sur la scène publique, votre  vie personnelle face à vos fonctions d’attachée et conseillère a-t-elle été affectée étant donné qu’il s’agit de positions considérées comme le prolongement de la personnalité publique et qu’il s’agit d’un milieu dont la plage horaire n’est jamais prédéterminée ?

Me Grenier : En effet, le mot ¨attaché¨ prend tout son sens en politique puisque nous devenons, le prolongement, comme vous dites. Cet état transcende notre vie à toutes heures du jour en cette époque qui vibre au rythme effréné de l’information continue et du BlackBerry.  Malgré nos longues journées et brefs week-ends, on a toujours en tête nos dossiers et l’intérêt personnel et professionnel de notre Ministre. Par-dessus tout, nous devons nous rappeler « qu’en politique, ça ne dure pas » alors, on se donne à fond et on s’oublie un peu dans ce tourbillon.

Jurizone : Considérez-vous que le fait d’être avocate vous facilite vos tâches dans ce domaine ?

Me Grenier : Bien-sûr.  Notre formation et la méthode que nous avons développée nous facilite la tâche pour apprendre, comprendre et aller à l’essentiel.  J’ai eu notamment la chance qu’on me demande de négocier une entente de chasse avec une nation autochtone. C’était extra car mon vis-à-vis était un chef de ladite nation autochtone. Ce dossier m’a fait dépasser mes limites et a contribué à déployer mes habiletés de négociatrice. C’est une expérience que je n’oublierai pas.

Également, ma formation m’amène à rencontrer les avocats des contentieux des ministères sur les projets de loi en rédaction ainsi que sur les poursuites potentielles ou les dossiers en état de procéder. Toujours très instructif de constater ce qui se passe en coulisse. Être avocate m’a ouvert la porte à la politique car je n’étais membre d’aucun parti politique et c’est assurément un véritable atout dans un CV lorsqu’on veut travailler dans la sphère publique.

Jurizone : Étant donné votre expérience en politique, parlez-nous un peu du rôle des attachés, des conseillers et de l’entourage de tout député ou ministre.

Me Grenier : J’aime bien dire que je suis les oreilles du Ministre lorsque je rencontre des gens qui auraient bien voulu discuter avec lui personnellement.  On reçoit son courrier et s’assure d’une qualité de réponse. On assiste à des conférences téléphoniques, rencontres préparatoires avec les sous-ministres et experts. On accompagne le ministre dans ses rencontres au sommet. Alors, nous sommes ses fidèles collaborateurs, on l’accompagne au gré du temps et des tempêtes aussi ! Bref, il faut savoir être et rester à la hauteur car nous sommes en toute occasion le représentant d’une personne publique.

Jurizone : Ayant touché à plusieurs domaines pouvant affecter l’avenir de la population, quelles domaines vous semblent les plus importants si l’on voit cela en terme de droit ?

Me Grenier : Permettez-moi plutôt de vous indiquer là où, dans mon travail,  j’ai eu l’opportunité d’apercevoir les recours exercés pour la reconnaissance des droits linguistiques. Au Ministère de l’Éducation, j’ai eu la responsabilité du dossier de la Charte de la langue française dont l’un des aspects est l’accès à l’enseignement en anglais. A titre d’avocate, j’ai traité les demandes de dérogations à l’enseignement obligatoire en français envoyées au Ministre. On m’informait aussi sur les contestations administratives des décisions du Ministre et sur les procédures judiciaires qui, certaines se sont rendues jusqu’en Cour Suprême. On connaît bien l’importance du débat sur la langue au Québec ainsi que la reconnaissance des deux langues officielles au Canada. Les droits linguistiques soulèvent beaucoup de passion.

Jurizone : Parlons un peu d’une constatation un peu présente partout dans le monde : nous voyons beaucoup d’avocats en politique. Quelles en sont les raisons ?

Me Grenier : Avocats et politiciens ont plusieurs points en commun : l’art oratoire, l’art de la joute aussi.  Je crois qu’ils ont bien souvent aimé l’histoire de leur pays et l’histoire du monde en général. Ils ont admiré ou ont été influencés par certaines figures importantes de l’histoire contemporaine et j’avoue que c’est très inspirant l’Assemblée nationale ou le Parlement fédéral. Notre histoire s’est écrit là, dans ces murs et  avoir l’occasion de côtoyer celles et ceux qui l’écrivent aujourd’hui, c’est un privilège !

Jurizone : À part la politique, quelles portes vous ouvre la profession d’avocate selon vous ?

Me Grenier : Bien voilà, quand on entend que le droit mène à tout. C’est tellement vrai ! Il faut simplement cogner aux portes et démontrer rapidement nos habiletés et continuer de bien faire et se faire reconnaître. Le diplôme, c’est une belle entrée dans le monde professionnel mais il faut continuer à faire ses preuves pour que notre nom fasse honneur à la profession.

Jurizone : Avant de sauter dans l’arène publique, vous avez travaillé en pratique privée. Quelle différence y avez-vous vu ?

Me Grenier : Dans l’arène publique, nous avons un client, notre ministre et son ministère avec l’ensemble des sujets à couvrir et l’actualité qui nous assure qu’il n’y a pas de routine. Il y a donc une clientèle stable qu’on appelle « la machine ». Alors qu’en pratique privée, c’est un monde bien organisé qui mène régulièrement à la recherche de clientèle. Et dans les deux cas, on fait de longues heures !

Jurizone : Pratique en droit ou Politique pour l’avenir ?

Me Grenier : Pour l’instant, je me laisse porter et j’apprécie pleinement ce que je fais et cette expérience en politique, c’est l’école de la vie.

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