Le métier d’avocat n’est pas toujours facile, surtout lorsqu’il est sous les projecteurs médiatiques. Auteur de plusieurs ouvrages bien reconnus et servant souvent de référence pour différentes instances judiciaires, il a conseillé des artistes et défendu des causes très médiatisées à travers le pays. Ayant siégé sur différents comités du Barreau du Québec, il est également professeur et l’une des personnalités juridiques les plus sollicitées en matière de droits d’auteur et de propriété intellectuelle à travers le Canada. C’est avec plaisir que cet avocat des artistes, Me Normand Tamaro, a accordé beaucoup de son temps pour partager avec Jurizone et le public sa vision des choses, mettant en lumière plusieurs éléments.
Jurizone : Me Tamaro, vous avez été membre du Comité temporaire sur les règles de la Cour fédérale du Barreau du Québec et président du Comité temporaire du droit d’auteur du Barreau du Québec, parlez-nous un peu de votre expérience dans le cadre de votre implication au sein de l’Ordre professionnel.
Me Tamaro : Il y a des collègues qui donnent leur temps et sont actifs dans différents comités du Barreau, dont on peut dire que certains sont permanents. D’autres, comme ceux sur lesquels j’ai siégés, ont pour fonction de répondre à des besoins ponctuels. Par exemple, dans le cas des règles de la Cour fédérale, il s’agissait de donner le point de vue du Barreau sur les nouvelles règles de la Cour fédérale qui étaient alors proposées. Faute d’un comité permanent, le Barreau devait former un comité temporaire chargé de formuler le point de vue qui serait éventuellement soumis par le Barreau. Parce que ces comités sont ponctuels, les membres ne sont pas élus en assemblée générale. Ils sont plutôt appelés par le Barreau pour les fins d’un mandat précis. J’y ai retenu que les collègues qui y ont participé l’ont fait non seulement au titre d’un devoir de participer aux travaux du Barreau en partageant leur expertise, mais surtout comme s’ils avaient l’obligation d’accepter ce mandat et de l’assumer comme s’il s’agissait d’une obligation qu’ils avaient à assumer.
Dans le cas du Comité temporaire sur le droit d’auteur, encore là, il fallait une action sur une question précise, alors que le Barreau débutait sa politique d’accès à l’information juridique en relation avec les nouvelles techniques. Nous parlions alors de créer le REJB, dont la vocation était de donner accès à tous les membres du Barreau à une banque de données numériques. Disons que j’en voyais la pertinence du fait que mes premiers pas en pratique privée ont été faits sur la Basse-Côte-Nord-du-Golfe-St-Laurent, donc, loin de tout collègue et de toute bibliothèque.
Jurizone : Vous êtes l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Loi sur le droit d’auteur- texte annoté, Droit d’auteur- Fondements et principes, et Les Délais dans les lois refondues du Québec, comment voyez-vous l’importance du rôle des avocats-auteurs dans le domaine du droit ?
Me Tamaro : Le livre, c’est la connaissance de la société, un vieux message claironné par les tribunaux au Siècle des Lumières. J’ai personnellement un côté de l’auteur qui a de la difficulté à accepter les vérités que d’aucuns considèrent généralement acquises et qui aime bien se forger ses propres points de vues. Mais, je n’ai pas débuté comme auteur, loin de là. C’est par l’entremise de ma formation d’avocat que j’en suis au gré des circonstances à l’écriture. Le rôle de l’avocat-auteur est alors de faire connaître et de faire valoir des points de vue, mais sur le terrain du juridique. Bien-sûr, le droit, ce sont les normes qui régissent la vie en société. L’avocat-auteur a un impact sur ces normes. J’en suis donc venu à ajouter ma voix.
Quant à l’ouvrage Les délais dans les lois refondues du Québec, il me vient d’une demande faite par Me Yvon Blais. Déjà étudiant, je me promettais de prendre le temps de lire les lois refondues, c’était un peu pour moi apprendre à connaître la mécanique de l’ensemble. J’ai accepté la proposition de Me Blais, sachant toutefois qu’il ne s’agissait pas d’une partie de plaisir ni d’un engagement lucratif. Mais déjà, comme je pressentais étudiant, il y avait l’avantage de se forger un point de vue sur un grand ensemble de règles qui nous gouvernent, qui, peut-être m’a permis la poursuite de ma réflexion déjà entreprise en droit d’auteur voulant que ce secteur du droit formait une partie intégrante d’un grand ensemble.
Jurizone : Vous êtes à la fois avocat, professeur et auteur, qu’est-ce qui vous a amené à vouloir contribuer autant dans le domaine juridique et, quelle perception de la société vous donne chacune de ces fonctions ?
Me Tamaro : En principe, l’auteur et le chargé de cours s’adressent à un public en général, alors que l’avocat en pratique s’adresse au cas particulier. Une symbiose s’opère : Alors qu’inévitablement, je vais porter attention au cas particulier lorsque j’écris ou enseigne, à l’inverse, je vais porter attention à l’ensemble lorsque je m’adresse au cas particulier. Pour utiliser cette image, les trois rôles combinés m’entraînent à ne jamais perdre de vue la théorie des ensembles. C’est donc tout naturellement que je perçois la théorie et la pratique comme indissociablement liées. Mon grand-père, avec qui j’ai beaucoup travaillé dans la forêt dans mon adolescence, m’a appris qu’avant de donner un coup de hache je devais m’assurer qu’autour de moi il n’y avait rien pour entraver mon mouvement, qui n’était pas sans danger. J’ai donc appris à définir le cadre du travail en fonction de son environnement. Dans le souci d’atteindre la cible, il fallait un effort de réflexion préalable. En d’autres mots, on prend en considération l’ensemble des points de vue avant d’y aller du nôtre, en conservant à l’esprit qu’il y a toujours plus d’un point de vue, et que chacun peut contenir des éléments qui permettent de construire le nôtre.
Jurizone : Vous avez plus de 27 ans de pratique. Comment décrivez-vous votre expérience à titre d’avocat à travers ces années ?
Me Tamaro : Je tiens de ma mère une constitution physique à toute épreuve, de sorte que le nombre d’heures à passer ici et là importait fort peu et qu’en règle générale les échéances étaient respectées. Mais, il n’y a toujours que 24 heures dans une journée, alors que l’on aimerait faire bien des choses pour se sentir satisfait à tous égards. Or, mettre beaucoup d’heures sur des échéances professionnelles suppose de ne pas rechercher des échéances sur des questions non moins essentielles. Après 27 ans de pratique, l’expérience permet l’atteinte d’échéances professionnelles moins énergivores. Malheureusement, je leur substitue d’autres échéances professionnelles. La solution idéale n’est pas encore à ma portée.
Jurizone : Vous êtes l’un des administrateurs de l’Association des juristes pour l’avancement de la vie artistique, parlez-nous un peu de cette association.
Me Tamaro : Comme quoi on ne peut tout faire, je suis de moins en moins présent dans l’association, tout en donnant beaucoup de temps à la vie artistique des autres. Personnellement, j’ai fort peu de talent pour l’expression artistique. L’association est née sous l’impulsion de Me Nathalie Chalifour, qui m’avait contacté au tout début. C’est Me Pierre Chagnon, qui a suivi le parcours de l’association dès ses débuts alors qu’il était responsable de la formation professionnelle, qui, à tout le moins selon mon souvenir, avait insisté gentiment pour que j’y sois présent. Bien sûr, il nous fallait une telle association pour nous sensibiliser à l’importance de développer les relations entre ceux qui travaillent ou entendaient travailler dans ce secteur.
Jurizone : Votre domaine de pratique vous a amené à conseiller des artistes et défendre des causes très médiatisées, comment abordez-vous généralement ce genre de dossiers sachant que vous devez rencontrer les médias ?
Me Tamaro : On finit par apprendre que les médias retiennent ce qu’ils veulent retenir. Sur dix phrases, une seule peut être retenue. Et lorsqu’elle est retenue, ce n’est pas toujours avec la portée que l’on entrevoyait. C’est l’envers de la médaille de cet aspect de notre travail, alors qu’il est effectivement très sain pour la démocratie que le journaliste soit indépendant de ses interlocuteurs. À une époque où j’étais confronté au fait que les avocats devaient garder leurs propos pour la Cour, je me rappelle une conversation avec le juge Marc-André Blanchard, alors avocat. Il m’avait confié que, malgré notre code de déontologie, fort peu prolixe sur le sujet, il considérait que l’avocat d’aujourd’hui avait un devoir d’intervention sur la place publique, car le client méritait d’être défendu tant auprès des tribunaux que dans la sphère publique. Je venais de trouver la caution d’un collègue qui connaissait des dossiers fort médiatisés.
Jurizone : Voyez-vous une différence dans le traitement d’un dossier provenant d’un artiste et celui provenant d’un particulier loin des projecteurs ?
Me Tamaro : Si j’ai déjà pu percevoir à une époque un traitement différent, il ne favorisait pas l’artiste. N’oublions pas, c’est encore récent dans notre histoire, que nous avons eu un premier ministre, Maurice Duplessis, qui se plaisait à dire qu’il n’avait jamais lu un livre, comme si lire était un loisir, qui plus est un loisir inutile. Le croyait-il vraiment, ou se comportait-il comme ces princes du moyen-âge qui enseignaient au bon peuple de souffrir sur terre, alors que dans l’intervalle ces princes aspiraient au plaisir? Quant à moi, le marquis de Sade (à l’index sous Duplessis) n’avait pas tout faux, lorsqu’il critiquait la noblesse et l’Église de son époque. D’ailleurs, j’ai ouï-dire que Duplessis était un collectionneur d’art. Mais, l’empreinte était laissée parmi nos élites : l’art était un loisir inutile.
Aussi, se présenter à la Cour avec un artiste pouvait se comparer quelque peu au criminaliste qui se présente à la Cour avec un accusé bardés de tatouages et de boucles de métal sur le corps, ou à l’avocat syndicaliste qui se présente avec un officier syndical. L’un et l’autre vous diraient encore qu’il y a parfois une côte à remonter.
Personnellement, j’ai senti un vent de fraîcheur à la lecture d’un jugement de la juge Rayle, alors à la Cour supérieure, dans un dossier dans lequel je n’étais pas impliqué et qui concernait l’artiste Armand Vaillancourt. Artiste fort controversé et impliqué socialement, on sent dans les motifs qu’il n’est pas reçu autrement que tout justiciable. Pour la Cour, Vaillancourt avait des qualités, alors que sous Duplessis on lui aurait servi un cadenas. Mais, l’empreinte de Duplessis s’estompait.
S’il nous faut aussi penser à des justiciables qui arrivent devant un tribunal avec un certain statut de « vedette », on peut prendre le cas récent de Guy Lafleur. Le fait d’être une icône n’a certainement pas joué en sa faveur. Un autre que lui n’aurait peut-être pas eu à répondre de son infraction, puisqu’il faut bien l’admettre, la poursuite avait une discrétion dans le choix d’entreprendre ou non des procédures à son encontre. Elle a exercé son choix comme nous l’avons vu, quasi manu militari, comme s’il fallait servir au bon peuple l’exemple qu’il faut dire toute la vérité devant un tribunal. D’autres cas, qui ne viennent pas devant les tribunaux, auraient selon moi mieux servi la souci de préserver le respect de nos institutions. Ce cas type, puisque mon impression est qu’il s’agissait d’un cas type, n’était sûrement pas le plus approprié.
Jurizone : Selon vous, quelles caractéristiques devrait avoir un avocat qui souhaite travailler avec des artistes ?
Me Tamaro : Je dis souvent que par leurs immenses richesses intellectuelles, les artistes nous imposent de demeurer humble. Bien sûr, comme tout avocat qui œuvre dans un secteur donné, il faut aussi chercher à comprendre la clientèle, le processus de création et, dans notre cas, l’importance de la culture pour une société. On devait d’ailleurs le faire face à tous nos clients. Après tout, même le plus humble des plombiers est socialement plus important que l’avocat, car, grâce à lui nous vivons avec une hygiène qui éloigne les maladies.
Jurizone : Sachant que vos fonctions vous amènent parfois à agir au niveau des communications et des relations publiques, comment voyez-vous l’importance de ces domaines incluant le marketing dans leur complémentarité à la profession d’avocat ?
Me Tamaro : Cette question nous ramène au besoin de représenter la clientèle là où le besoin se fait sentir, dans le contexte où l’avocat est formé pour manier les lois et que sa pratique lui apprend les tenants et aboutissants de plusieurs secteurs de la société. Et, il faut bien admettre que les lois régissent nos moindres mouvements. Même le publicitaire voudra connaître les paramètres légaux applicables à son client ou à un produit. De ce point de vue, l’avocat peut avoir à prendre le chapeau d’un agent de marketing qui manie les lois.
Jurizone : Vous êtes bien reconnu dans le domaine du droit d’auteur et les instances judiciaires font souvent référence à vos écrits, quelle différence observez-vous dans l’évolution des droits d’auteur dans les dernières années ?
Me Tamaro : Pour reprendre mon exemple de Duplessis, chez nos élites, le droit d’auteur était perçu comme une affaire d’artistes, dans un sens péjoratif s’entend. Qui plus est, il se serait agi d’un droit qui venait d’ailleurs. Pour qui n’était pas sensible -ou était trop sensible?- à l’importance de la création, le sujet présentait dès lors fort peu d’intérêt. La première édition de mon ouvrage a correspondu à une époque où, bien après les américains, nos élites ont commencés à réaliser que la propriété intellectuelle était une source importante de richesses matérielles. Il y a alors eu un éveil graduel, ne serait-ce que sur son impact économique. Par ailleurs, j’ai tenu compte d’au moins trois prémisses en construisant mon ouvrage : la création est extrêmement importante pour la société; l’histoire du droit d’auteur nous l’enseigne; et je suis civiliste de formation, avec, comme tout juriste québécois, une affinité toute naturelle pour la lecture du droit comparé. Probablement qu’il s’agissait d’une bonne recette pour être accepté par les tribunaux, alors que l’empreinte des Duplessis s’estompe.
Jurizone : Brièvement, puisqu’on associe souvent droits d’auteur à ce fameux symbole ©, parlez-nous en un peu.
Me Tamaro : Le © a en quelque sorte été imposé par les américains. Pendant longtemps, les seuls ouvrages qui étaient couverts par droit d’auteur aux États-Unis étaient ceux qui arboraient ce symbole. Pour éviter d’être pillés dans le cas où leurs livres se retrouvaient inopinément aux États-Unis, les éditeurs d’ailleurs ont développé l’usage d’utiliser ce symbole.
Jurizone : En quoi pensez-vous que les technologies de l’information sont utiles à notre société d’aujourd’hui en terme de droits ?
Me Tamaro : Tout autant que la presse à imprimer l’a été à une certaine époque. Celle-ci a conduit à une démocratisation du savoir et à la circulation des idées. À l’époque, les populations vivaient un choc probablement plus brutal que celui que nous connaissons avec l’Internet. Les techniques modernes ne font qu’amplifier ce à quoi la presse à imprimer nous avait habitué. Auparavant, il fallait encore faire circuler un livre de mains en mains à la vitesse de l’humain. Maintenant, Il y a une démocratisation du savoir et des idées dans un contexte de circulation quasi-instantanée entre l’émetteur et le récepteur.