(Entrevue datant de 2004-12-01, certains détails peuvent avoir changé depuis)
Pratiquant en immigration d’affaires dans un cabinet depuis plusieurs années et convoité dans des dossiers de niveau international, Me Vincent Valaï a gentillement accepté de nous rencontrer à son bureau.
Jurizone: Me Valaï, parlez-nous un peu de votre domaine et du cheminement que doit faire un étudiant en droit pour arriver à pratiquer en droit de l’immigration ?
Me Valaï: Le droit de l’immigration est un domaine de pratique particulier. Le cadre législatif canadien a d’ailleurs changé en 2002 avec l’entrée en vigueur de la Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés. Cette législation traite d’une part des principaux politiques et programmes d’immigration, notamment l’admission et le renvoi du Canada, des politiques de sélection des travailleurs qualifiés et des gens d’affaires et la protection des réfugiés. Le domaine dans lequel je pratique est surtout le droit de l’Immigration d’affaires: notre cabinet représente des entrepreneurs ou des investisseurs qui veulent s’établir au Canada et nous conseillons également des entreprises notamment en ce qui concerne la mutation de leur personnel au Canada ou à l’étranger. L’étudiant désirant pratiquer dans ce domaine doit également être au courant qu’ il s’agit d’un domaine où beaucoup de consultants en immigration -généralement sans formation adéquate en droit- représentent des clients. Il est vrai que depuis quelques temps le gouvernement fédéral oblige les consultants à devenir membre de la Société Canadienne des Consultants en Immigration. Les cours universitaires en droit de l’immigration peuvent donner un aperçu général intéressant de ce domaine du droit. Je suggère également fortement aux étudiants d’effectuer des stages auprès de cabinets qui pratiquent dans ce domaine pour se faire une meilleure idée.
Jurizone: Quels qualités devrait posséder un avocat pratiquant en droit de l’immigration ?
Me Valaï: De par mon expérience, un avocat pratiquant dans ce domaine devrait posséder certaines qualités essentielles, étant donné qu’il représente des clients venant de l’étranger, il devra notamment : Faire preuve d’une grande ouverture d’esprit : Cette ouverture lui permettra de mieux saisir la perception et les besoins du client. Un client américain par exemple est différent d’un client français ou chinois. Être très patient avec les instances gouvernementales: Étant donné que les délais sont de plus en plus longs pour les candidats à la résidence permanente. Ceci est souvent attribué à un manque de ressources et de personnel nécessaire au traitement des dossiers et également parfois aux politiques des mandarins du Ministère de l’Immigration. Prendre les mesures pour être à jour dans ses connaissances: Il faut être à jour dans la jurisprudence de la Cour fédérale et des autres instances, et à jour également dans les nombreux règlements, notes de services, … Il faut aussi comprendre les subtilités de la législation et du corpus règlementaire du droit de l’immigration, et même de certains traités internationaux, tout cela afin de mieux défendre vos clients.
Jurizone: Parlez-nous un peu de dossiers importants sur lesquels vous avez travaillé.
Me Valaï: Tous les dossiers sont considérés comme importants. Certains ont été médiatisés, mais ne sont pas forcément en droit de l’immigration d’affaires. Par exemple, il y a eu le cas de l’ancienne ministre burundaise, Mme Christine Ruhaza qui avait manifesté devant les bureaux du ministre de l’immigration parce qu’on l’empêchait de parrainer son époux considéré comme personne inadmissible en raison de son implication au sein du gouvernement burundais. Il y a également eu le dossier de M. Mourad Ikhlef qui devait être expulsé en Algérie où il avait été condamné à mort in absentia. Dans le domaine du droit interntional, il y a aussi la plainte que nous avons déposée auprès du Comité des droits de l’homme du Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU, à Genève en ce qui concerne l’assassinat de l’ancien président de la république du Burkina Faso, Thomas Sankara. Ce dossier est toujours pendant devant le Comité des droits de l’Homme.
Me Valaï mentionne que pour bien pratiquer en droit de l’immigration, un avocat doit avoir une ouverture d’esprit bien développée, de la patience avec les instances gouvernementales et être à jour dans ses connaissances.
Jurizone: Pourriez-vous nous expliquer la distinction entre les trois catégories de gens d’affaires (investisseurs, entrepreneurs, travailleurs autonomes) ? Qu’en est-il des conditions d’immigration ?
Me Valaï: Dans le cadre d’une entrevue aussi courte, je ne peux que vous donner les critères les plus importants. Le candidat à l’immigration qui veut s’établir au Québec comme investisseur : doit avoir accumulé, par des activités économiques licites, un avoir net de 800 000 $ canadiens accumulé grâce à des activités licites. De plus, il doit avoir un minimum de trois ans d’expérience de gestion à temps plein, que ce soit dans une corporation, au sein d’un gouvernement ou au sein d’une instance internationale (ex : l’ONU) et doit s’engager à investir 400 000 $ au Canada, somme pouvant être récupérée au bout de 5 ans. Bien sûr, il existe des options de financement. Celui qui veut s’établir comme entrepreneur doit posséder un avoir net de 300 000$ CA et une expérience de gestion semblable à celle que je viens de mentionner pour l’investisseur. Je peux préciser que par expérience de gestion, on parle au Québec de supervision, de planification ou de ressources humaines, etc. L’entrepreneur doit aussi avoir un projet d’affaires qui répond aux besoins économiques de la province dans laquelle il s’établit. Attention : cette catégorie d’immigrant fait partie des rares catégories où des conditions sont rattachées au visa. Premièrement, il faut gérer activement la compagnie et deuxièmement, il faut engager des canadiens autres que les membres de la famille. Au bout de deux ans, l’entrepreneur en question pourra demander l’annulation de ces conditions. Pour celui qui veut s’établir comme travailleur autonome (ex : artiste, sportif reconnu dans son domaine), il doit avoir l’intention et la capacité de créer un emploi pour lui même et pouvoir apporter une contribution culturelle ou athlétique. Le Québec, qui a signé une entente avec le fédéral en ce qui concerne la sélection des immigrants, demande que le candidat puisse démontrer un avoir net d’au moins 100 000$ CA. Évidemment, d’autres facteurs entrent en ligne de compte pour les candidats de ces trois catégories désirant s’établir au Québec, comme l’âge, la connaissance du français, l’éducation, la famille au Québec, la connaissance du Québec, les qualités personnelles, etc.
Jurizone: Ressentez-vous un resserrement des mesures dans cette catégorie d’immigration depuis quelques années? C’est à dire depuis l’établissement de mesures de sécurité plus stricte.
Me Valaï: Absolument ! Malheureusement, quoique disent les autorités, le 11 septembre et la pression américaine ont eu un impact non négligeable sur notre législation en matière d’immigration. C’est une chose louable de protéger la sécurité de notre population, mais c’est autre chose que de sacrifier les piliers fondamentaux de notre État de droit. À titre de juristes, nous devons être vigilent et dénoncer les abus.