À travers une longue carrière dans les domaines publique et privée, M. Yvon Charbonneau a toujours eu à coeur le bon développement de la société. Après avoir passé plusieurs années dans l’enseignement et après son engagement syndical, il toucha au domaine environnemental. C’est en 1994 qu’il fit son saut dans la politique provinciale et ensuite dans la politique fédérale. Après avoir été député fédéral de 1997 à 2004, maintenant c’est toujours avec fierté et en grand défenseur des droits qu’il accomplit la tâche d’ambassadeur du Canada à l’Unesco. Le connaissant pour sa fervente carrière dans la défense des droits humains, Jurizone a décidé de l’interviewer et il a accepté avec plaisir.
(Entrevue datant de 2005-01-01)
Jurizone: Vous avez été nommé ambassadeur du Canada à l’UNESCO aux alentours des élections fédérales du 28 juin 2004. Vous avez subitement laissé votre poste de député et vous avez été nommé à votre poste actuel par la suite. Comment s’est faite la transition?
Yvon Charbonneau: Lorsqu’on m’a proposé de devenir l’ambassadeur du Canada auprès de l’UNESCO, j’ai fait face à un dilemme: il me fallait choisir entre deux situations incompatibles et intéressantes. Et ce choix ne relevait que de moi et de mes proches. J’ai fait le bilan de mes dix années de vie politique tant au plan provincial que fédéral. Le plus difficile a été de me faire à l’idée de mettre un terme à cette relation harmonieuse et chaleureuse que j’avais établie avec des centaines de personnes de mon comté.
D’autre part, le poste d’ambassadeur peut être interprété comme une fonction de “député” que l’on assume cette fois, non pour un comté, mais pour le pays tout entier. Et exercer cette fonction auprès de l’UNESCO représentait pour moi quelque chose de très motivant: grands dossiers de l’heure touchant l’éducation, la culture et les sciences, la communication ; dialogue des cultures et des civilisations.
Bref, après m’être assuré de l’appui de mon équipe envers mon successeur, j’ai accepté de relever ce nouveau défi et de représenter mon pays pour quelques années.
Jurizone: Comment est-ce que tout votre bagage que vous avez acquis lors de toutes ces années, entre autres celle de la formation d’enseignant, de président de la Corporation des enseignants du Québec (CEQ) et celle de député vous aide dans votre poste actuel?
Yvon Charbonneau: À vrai dire, mon cheminement professionnel m’a en quelque sorte prédisposé à ce genre de fonction, de façon non-consciente. Comme l’eau du fleuve n’est pas consciente de couler vers la mer.
Tout d’abord, ma formation et ma pratique d’enseignant de français et d’humanités classiques au Québec et en Tunisie m’ont fourni un premier aperçu de l’importance de l’éducation ainsi que de l’ampleur et de la variété des patrimoines culturels et historiques.
Puis mon engagement syndical qui s’est étalé sur deux décennies m’a initié aux grands rouages institutionnels et internationaux. J’y ai acquis un entraînement intensif à “la représentation” sous toutes ses formes, à la négociation et à la communication. Plusieurs missions variées ont continué de m’ouvrir les horizons quant aux réalités internationales: inégalités, réseaux d’intérêts, campagnes de mobilisation.
Pendant quelques années, j’ai fait une immersion dans le domaine de l’environnement dans les secteurs public et privé ; et j’ai été responsable de la planification stratégique de la défunte Société québécoise de développement de la main d’oeuvre, ce qui a constitué autant d’expériences significatives.
Dès mon entrée en politique provinciale en 1994, je me suis vu offrir les postes de vice-président de la commission de l’éducation et de critique en matière de formation technique et professionnelle.
Au fédéral, j’ai été invité à présider le caucus national en environnement et nommé membre du comité permanent en environnement. J’ai aussi été secrétaire parlementaire à la santé, puis à la sécurité publique. Pendant la même période, j’ai continué à développer mon intérêt international en présidant plusieurs associations parlementaires: Canada-France, Canada-Liban, Canada-Tunisie et en fondant dès 1998 le Groupe des parlementaires amis de l’UNESCO.
Il est vrai qu’en rétrospective, la plupart de ces mandats politiques constituaient une sorte de préparation … à l’avenir !
Jurizone: Quel est votre rôle en tant qu’ambassadeur du Canada à l’UNESCO?
«Certains la critiquent dans le but de l’aider, d’autres le feront pour lui nuire.»
Yvon Charbonneau:Comme ambassadeur du Canada auprès de l’UNESCO, mon rôle est de représenter notre pays (gouvernement et société civile) et d’y défendre et promouvoir l’identité canadienne, nos valeurs, nos projets, nos intérêts. Ce travail se fait soit directement pour le compte des Affaires étrangères du Canada, soit en appui à diverses délégations d’experts gouvernementaux et non-gouvernementaux participant aux travaux de l’UNESCO.
Jurizone: Qu’aimez-vous dans votre poste?
Yvon Charbonneau: L’UNESCO a été créée au lendemain de la seconde guerre mondiale dans le but que s’établissent entre les hommes et les peuples un dialogue, des échanges et des rapports de coopération assurant le développement et la paix.
Après les horreurs et les destructions de la guerre, était-il possible d’envisager une autre humanité “plus humaine”?
Soixante ans plus tard se posent les mêmes types de questions: à l’heure de la globalisation des marchés peut-il y avoir place pour le dialogue des peuples, pour le partage des connaissances et des technologies, pour la solidarité dans le développement? Est-il possible de travailler à l’humanisation de la mondialisation?
Comme on le voit, le mandat initial de l’UNESCO n’a en rien perdu de sa pertinence et de son intérêt.
Et se retrouver l’ambassadeur de notre pays au moment où se préparent par exemple une Convention internationale portant sur la préservation et la promotion de la diversité culturelle, une Déclaration sur la bioéthique, une Décennie sur l’éducation pour tous et sur l’Éducation au développement durable, n’est-ce pas un mandat captivant?
Le rôle de l’ambassadeur consiste aussi à stimuler la participation de notre pays à ces grands programmes de l’UNESCO, avec l’appui indispensable de la Commission canadienne pour l’UNESCO qui regroupe quelque 200 organisations de la société civile.
Jurizone: Quels sont les principaux rôles de l’UNESCO?
Yvon Charbonneau: En résumé, l’UNESCO se définit à travers les grandes fonctions suivantes:
- un laboratoire d’idées: l’UNESCO joue un rôle clé pour ce qui est d’anticiper et de définir, à la lumière des principes éthiques qu’elle défend, les problèmes les plus importants qui se profilent dans ses domaines de compétence, et pour identifier des stratégies et des politiques appropriées pour y faire face ;
- un organisme normatif: l’UNESCO sert de forum pour aborder les problèmes éthiques, normatifs et intellectuels de notre époque, favoriser les échanges multidisciplinaires et la compréhension mutuelle, oeuvrer – chaque fois que cela est possible et souhaitable – à la conclusion d’accords universels sur ces questions, définir les objectifs à atteindre et mobiliser l’opinion internationale;
- un centre d’échange d’information: il entre dans le rôle de l’UNESCO de collecter, transmettre, diffuser et partager l’information, les connaissances et les meilleures pratiques qui existent dans ses domaines de compétence, de définir des solutions novatrices et de les tester par le biais de projets pilotes ;
- un organisme de développement des capacités dans les États membres: l’UNESCO met en place une coopération internationale au service de ses partenaires, notamment les États membres, en développant les capacités humaines et institutionnelles dans tous ses domaines de compétence ;
- un catalyseur pour la coopération internationale: organisme spécialisé et multidisciplinaire, l’UNESCO assume un rôle de catalyseur de la coopération pour le développement dans ses domaines de compétence. A cet effet, elle veille à ce que les objectifs, les principes et les priorités qu’elle défend soient repris par les autres programmes multilatéraux et bilatéraux, et à ce que l’exécution des projets, en particulier aux niveaux régional et national, repose sur des méthodes novatrices, des interventions efficaces et des pratiques éprouvées.
Certes l’UNESCO a de grandes ambitions et de nombreux mandats dans des domaines variés et en évolution rapide ; les résultats de son action ne sont pas toujours tangibles et mesurables à court terme. Les moyens fournis par ses 190 États membres sont loin de lui permettre une action décisive et soutenue en toutes circonstances. Certains la critiquent dans le but de l’aider, d’autres le feront pour lui nuire.
En réalité, depuis le retour des États-Unis l’an dernier (après 19 ans d’absence) et celui de la Grande-Bretagne, et en raison du redressement administratif et du recentrage stratégique en cours depuis 5 ans, je crois que l’UNESCO est en voie de devenir une organisation internationale pilier du système onusien.
Évidemment, il faut croire aux bénéfices à long terme de la coopération multilatérale pour partager de telles perspectives. Nous avons vu ces dernières années les dégâts de l’action unilatérale. Il faut espérer en l’avènement d’institutions internationales fortes, dotées de moyens substantiels, pour soutenir le développement équilibré, harmonieux et durable de la planète et de ses habitants.
A cet égard, l’UNESCO occupe une place incontournable, et je suis privilégié que les autorités canadiennes m’aient offert la possibilité d’y apporter ma modeste contribution.