Produits de la criminalité: il faut aller plus loin!

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Par Jacques P. Dupuis, Ministre de la Justice et Procureur général du Québec (2005)

Parmi les responsabilités qui incombent au procureur général du Québec, celle de réfléchir aux moyens les plus appropriés pour lutter efficacement contre la criminalité revêt une importance primordiale. Cette réflexion se fait en collaboration avec les experts du ministère de la Justice sur la question, en plus d’être fondée sur l’expérience d’une équipe de substituts du procureur général spécialisée dans la lutte aux produits de la criminalité.

Cette réflexion nous incite aujourd’hui à demander la modification du Code criminel du Canada. Cette opération facilitera et rendra plus efficace le travail des policiers et des substituts du procureur général pour la confiscation des biens appartenant aux personnes trouvées coupables d’un acte criminel. Il nous apparaît fondamental de priver des fruits de leurs délits les personnes reconnues coupables de tels actes.

J’ai donc, lors de la rencontre fédérale-provinciale-territoriale du 23 au 25 janvier dernier, soumis à mes collègues ministres de la Justice de l’ensemble du Canada une proposition de modification au Code criminel visant à renverser le fardeau de la preuve.

Présentement, l’article 462.37(1) du Code criminel impose au poursuivant, c’est-à-dire à la Couronne, le fardeau de démontrer que les biens à confisquer constituent des produits de la criminalité obtenus en rapport avec l’infraction commise. Une fois reconnue la culpabilité d’un accusé, l’État doit en effet faire la preuve de l’origine illégale d’un bien pour le confisquer. Mes collègues procureurs généraux des autres provinces et des territoires ont appuyé notre proposition d’amendement. Nous avons donc demandé au ministre de la Justice du Canada de modifier le Code criminel pour que le fardeau de la preuve repose dorénavant sur l’accusé, après qu’il ait été reconnu coupable hors de tout doute raisonnable.

En conséquence, c’est la personne déclarée coupable d’un acte criminel qui devra convaincre le tribunal, par prépondérance des probabilités, que les biens dont le procureur général demande la confiscation ne constituent pas des produits de la criminalité reliés à l’infraction pour laquelle elle est condamnée.

De plus, allant plus loin en cela que le projet de loi C-242 déposé à la Chambre des communes, notre proposition vise tous les actes criminels et non seulement ceux associés au gangstérisme.

Au Québec, nous avons développé une expertise en matière de confiscation de ces biens. Malgré notre succès à ce chapitre (depuis 1996, des biens dont la valeur totale est supérieure à 32 millions de dollars ont été saisis), il est difficile de prouver qu’un bien est réellement un produit de la criminalité. Établir cette preuve nécessite en effet un travail long et minutieux. Avec le renversement du fardeau de la preuve, il sera plus facile de prétendre à raison que le crime ne paie pas.

Notre proposition ne porte aucunement atteinte à la présomption d’innocence dont jouit tout accusé. En effet, la Couronne devra toujours d’abord prouver la culpabilité de ce dernier hors de tout doute raisonnable et c’est seulement au moment de la détermination de la peine qu’il sera possible de confisquer ses biens. Il faut aussi prendre en compte que la personne reconnue coupable est la mieux placée pour justifier la légitimité de son patrimoine et qu’elle devrait être en mesure de démontrer la légalité de la provenance de ses biens.

Cette proposition rejoint en outre celle formulée en juin 2003 par les membres du Groupe d’action financière sur le blanchiment de capitaux (GAFI), un organisme qui rassemble 31 pays, dont le Canada.

J’ai la conviction profonde que la mise en application de cette proposition servira le Québec et le Canada tout entier. Il nous reste maintenant à la faire adopter et, pour ce faire, j’invite les Québécoises et les Québécois à nous épauler dans cette démarche fondée sur le bon sens, la justice et l’équité.

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